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Cela peut être utilisé. Mais cela est assez dangereux. « Chacun, dit Bernhardi, craint de nuire à son prestige moral ou politique par une violation de droit manifeste et par-là même de porter atteinte au crédit de ses engagemens… » Cette remarque est bonne. Si Bernhardi examine les ententes diplomatiques, ce qui le frappe, c’est la difficulté, pour un État, de manquer à sa signature : alors, à quoi bon signer ? Notons aussi le mot « manifeste, » que Bernhardi souligne ; et l’on voit mieux son intention, quand il ajoute : « La conscience du droit international a acquis dans l’état actuel de la civilisation une telle puissance qu’on ne peut impunément le perdre de vue tout à fait. » Tout à fait, non ; mais, un peu, oui : et le principal est que la violation du droit ne soit pas manifeste. Concluons ; tâchons de conclure. Ce n’est pas commode. La pensée de notre auteur, en cette matière, manque de netteté. Non que sa plume le trahisse ; mais plutôt, il souhaitait de ne pas nous livrer sa pensée tout de go : il l’enveloppe et il l’habille. Allons au fait et proposons-lui un exemple. Approuve-t-il la violation de la neutralité belge ? Il l’approuve : il a, dans ses plans stratégiques, admis très volontiers l’hypothèse d’une invasion de la France par le chemin septentrional de la Hollande et de la Belgique. Cependant, l’Allemagne, quand elle a violé la neutralité belge, a méconnu « tout à fait » la conscience du droit international ; et cette violation fut « manifeste. » Comment Bernhardi va-t-il concilier les principes qu’il a formulés et l’approbation qu’il accorde à cette imprudence ? Il n’est point à bout de ressources. Il considère que, dans les relations internationales, « la question de droit est la plupart du temps fort douteuse. » Elle ne l’était pas, quant à la Belgique ? Distinguons !… Bernhardi nous supplie de ne pas confondre le « droit écrit » et le droit « biologique ou moral. » Ainsi, la Belgique, — d’après le droit positif, le droit écrit, — possède l’Etat du Congo. Mais elle exploite financièrement ce territoire ; elle n’y accomplit pas une œuvre civilisatrice : elle n’a pas un droit « moral » sur le Congo ! L’Allemagne, au contraire, si elle confisque différens territoires coloniaux, pour y caser le surcroît de sa population, la féconde Allemagne aura, sur ces territoires, un droit « biologique. » Et le tour est joué. Bernhardi serait heureux de nous faire croire qu’il sacrifie, en ces termes, des contrats médiocres au « droit de l’éternel humain. » Bref, il n’attribue aux ententes internationales qu’une valeur « conditionnelle ; » et il écrit, avec la loyauté la plus choquante : « On ne peut exiger d’aucun État que, pour l’amour d’un engagement reposant sur le droit positif, il mette en jeu son existence, quand celle-ci peut être mieux et plus