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Bethmann-Hollweg, s’était voué depuis son arrivée au pouvoir, tombait comme un château de cartes. Il avait beaucoup de chagrin. Prodigieuse comédie !… L’Allemagne a-t-elle sincèrement souhaité l’amitié anglaise ? Consultons là-dessus Bernhardi. La concordance que nous avons remarquée entre les dires de Bernhardi et les réalités de la politique allemande donne de l’autorité à cet écrivain. En outre, comme il écrivait deux ans avant la guerre, il ne songeait pas à dissimuler tout ce qu’il cacherait aujourd’hui : ses professions de foi sont des aveux. Eh bien ! oui, l’Allemagne aurait voulu se rapprocher de l’Angleterre : elle sentait que l’hostilité anglaise était pour elle une terrible menace. Mais à quel prix l’Allemagne se fût-elle rapprochée de l’Angleterre ? Il faudrait, dit Bernhardi, que l’Angleterre garantit « les intérêts les plus essentiels » de l’Allemagne. L’Angleterre renoncerait, quant à elle, à toute « suprématie mondiale. » Et, de son côté, l’Allemagne ? « Il faudrait que l’Angleterre nous laissât les mains entièrement libres dans la politique européenne et que, pour commencer, elle acquiesçât à toute extension de la puissance de l’Allemagne sur le continent, telle que cette extension pourrait éventuellement se produire, soit dans une confédération des États de l’Europe centrale, soit dans une guerre avec la France. Elle serait tenue de ne plus chercher à entraver le développement de notre politique coloniale sur le terrain diplomatique, en tant que cette politique ne se ferait pas aux dépens de l’Angleterre. Elle devrait souscrire au projet de transformation de l’état territorial du Nord de l’Amérique au profit de l’Italie et de l’Allemagne. Il faudrait qu’elle s’engageât à ne pas susciter d’obstacles aux intérêts de l’Autriche dans les Balkans, à ne pas contrecarrer les aspirations économiques de l’Allemagne dans les Indes ; enfin, il lui faudrait se résoudre à ne plus s’opposer au développement de la puissance maritime de l’Allemagne et à l’acquisition de stations de charbon par l’Empire allemand. » Quoi encore ? L’Angleterre devrait « modifier toute sa politique, » devrait se retirer de la Triple-Entente, devrait procéder à une autre répartition de sa flotte : « l’Allemagne ne pourra jamais se fier aux intentions pacifiques de l’Angleterre, aussi longtemps que toute la flotte anglaise sera concentrée sur le pied de guerre dans la mer du Nord, prête à commencer une marche stratégique contre nous. » Quoi encore ? C’est tout. Seulement, ce que l’Allemagne demande, c’est, en effet, tout ; c’est énorme. Et Bernhardi lui-même s’en rend compte. Il s’interroge ou il feint de s’interroger : est-il vraisemblable que l’Angleterre entre dans un accord de ce genre ? L’Allemagne et