Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on fasse davantage. « Malheur à ce peuple, s’il s’en remet à l’apparence de la force ou s’il se contente de demi-mesures, par suite d’une fausse appréciation des puissances adverses, s’il attend de la fortune ou du hasard ce qui ne peut-être atteint que par l’effort et l’exaltation de la volonté ! » Il s’indigne à l’idée que certains Allemands sont un peu tièdes, un peu mois et nonchalans et volontiers se contenteraient, pour en jouir, des richesses que l’Allemagne a déjà réunies. Avec de telles gens, il n’ose pas compter sur la victoire. Et, parmi de telles gens, ne dénigre-t-il pas le gouvernement, — si pacifique ! — ce gouvernement qui lésine sur les dépenses de la guerre, qui n’enrôle pas toute la nation, qui perd son temps à bavarder avec les chancelleries ? Enfin, Bernhardi examine le groupement des peuples. Il met en balance la Triple Entente et la Triplice ; et la première lui paraît mieux unie que la seconde. L’Italie ne lui inspire pas une confiance à toute épreuve : il est tout prêt à l’accuser d’ingratitude. Et, quant à la remplacer par la Turquie, il avoue que l’empire des Sultans est malade. L’Autriche ? Il ne la dédaigne qu’à moitié. Bref, « si nous réussissons à empêcher la collaboration de nos ennemis, à prévenir leurs attaques par la hardiesse de l’offensive et à les battre isolément, nous avons le droit d’espérer la victoire finale. » Espérer la victoire, ce n’est pas la tenir. Et ces pangermanistes qui auront, sur la seule espérance de la victoire, déclaré la guerre au monde, que répliqueront-ils, le jour de l’échéance, aux reproches de leurs compatriotes, à la rancune désespérée de leur patrie ?

Bernhardi répliquera que la guerre était, non pas inévitable seulement, nécessaire. Il a vu l’Allemagne dans cette alternative : hégémonie mondiale ou décadence. Il a redouté la décadence ; il a désiré passionnément l’hégémonie mondiale : et il ne s’est pas figuré qu’il y eût, pour l’Allemagne, une possibilité de vie opulente et glorieuse, auprès de ses voisines. En d’autres termes, l’instinct qui l’excite, c’est le vieil instinct de la Germanie, que Grégoire de Tours appelait, il y a quatorze siècles, une race de proie. Au fond du pangermanisme le plus savant subsiste l’ancienne voracité des Germains. Voilà le principe créateur de toute la théorie ; et la théorie n’est que l’ornement. Les hordes germaines qui se sont ruées sur le monde romain cédaient plus naïvement à leur impulsion. Dans le monde moderne et dans une Europe déjà occupée tout entière, où la Germanie fut longtemps bridée, il a fallu recourir à des astuces, pour tromper la vigilance des gardiens ; et il a fallu, parmi des sociétés humaines plus sensibles (selon le mot de Bernhardi) aux droits des peuples, déguiser la barbarie