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occupation ne se serait-elle pas étendue ? Quel coin du sol nous aurait-on laissé pour y planter notre drapeau national ?

A mettre les choses au mieux, on nous aurait priés, la guerre finie, d’un ton insinuant, mais en même temps sans réplique, de faire partie de la Confédération germanique. D’abord une union douanière, l’entrée dans le Zollverein, avant que l’incorporation complète, — le dignus est intrare dans le Saint-Empire, — eût été prononcée par notre futur César, sur l’avis du Conseil fédéral et suivant les progrès de notre germanisation. On n’aurait pas attendu cet heureux jour pour contrôler et fixer la production de nos usines et de nos charbonnages en les affiliant aux syndicats d’outre-Rhin, pour organiser l’activité du port d’Anvers sans nuire aux ports allemands et limiter son hinterland commercial, pour surveiller notre vie journalière, empêcher nos manifestations nationales, inculquer la discipline allemande à notre armée, domestiquer notre gouvernement et notre diplomatie. On nous aurait tout de suite débarrassés du Congo, trop lourd pour nos épaules. On nous eût enfin imposé l’allemand, comme troisième langue, destinée à devenir bientôt la langue officielle. Plusieurs fois il m’est arrivé, en lisant dans nos journaux les fâcheuses polémiques soulevées par la rivalité de nos deux langues, de dire à mes jeunes collaborateurs : « On ne paraît pas se douter chez nous qu’on est menacé de voir un jour l’allemand devenir la langue enseignante à l’université de Gand. »

Dans ce rattachement à leur empire, qui eût été considéré par tous les Teutons comme un honneur pour nous, comme la récompense de notre neutralité amicale, notre forme de gouvernement aurait couru le moins de risques. Guillaume II, à l’exemple de Bismarck, n’est pas homme à démolir inutilement des trônes ; il préférera toujours les lier au sien par les chaînes solides de la vassalité.

Le même sort attendait la Hollande, quoique M. de Jagow, la veille de la remise à Bruxelles de l’ultimatum allemand, eût pris soin d’assurer au ministre des Pays-Bas que la neutralité de son pays serait respectée. La Hollande n’a-t-elle pas été dans le passé un des joyaux des anciens Césars germaniques ? Accoudée au bord de la mer du Nord, étendue à l’embouchure du plus grand fleuve allemand, n’en commande-t-elle pas le cours ? Une annexion, — violente ou déguisée, — de la Belgique ne