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émeutes de Naples et de Turin, la France de Louis XVIII et l’Espagne de Ferdinand VII, associées pour le rétablissement de l’ancien régime à Madrid. Il fit plus : les anciennes colonies espagnoles d’Amérique, transformées successivement depuis 1810 en républiques autonomes, étaient devenues du même coup des clientes commerciales de l’Angleterre, alors seule Puissance outillée pour les transactions d’outre-mer ; en les garantissant contre un retour possible de la souveraineté métropolitaine, on servirait à la fois la cause générale de la liberté politique et celle d’une liberté économique dont l’Angleterre serait, en fait, la principale bénéficiaire. Homme de réalisation, que combattirent les conservateurs aveuglés et les doctrinaires d’extrême gauche, travailleur acharné que ses concitoyens apprécièrent surtout lorsqu’il fut mort à la peine (1827), Canning ne séparait pas la fortune particulière de l’Angleterre et celle des institutions libérales.

Pour prévenir une restauration en Amérique, il écrivit pendant l’expédition du Duc d’Angoulême à son ambassadeur auprès des États-Unis, Rush ; il lui représentait que les anciens sujets du roi d’Espagne avaient bien gagné le droit de rester maîtres de leurs destinées ; il convenait donc d’empêcher toute démarche européenne qui aurait pu compromettre leur jeune indépendance ; Rush communiqua cette lettre au Gouvernement des États-Unis, alors présidé par le colonel James Monroe ; celui-ci, dont les idées personnelles se rencontraient exactement avec celles de Canning, en prit acte sans plus tarder et s’en inspira en plusieurs paragraphes de son message du 2 décembre 1823. Il est notable que, pour en venir aux affirmations qui constituent sa célèbre « doctrine, » le président Monroe part de considérations européennes : « Le système politique des Puissances associées, dit-il en parlant de la Sainte-Alliance, est essentiellement différent du système politique américain. » Et il continue : « Nous considérerions comme dangereux pour notre paix et notre sécurité toute tentative de ces Puissances pour étendre leur système à une portion quelconque de cet hémisphère. » Si des interventions se sont produites en Espagne, les États-Unis n’ont rien à y voir ; en revanche, ils regarderaient comme un acte criminel toute démonstration tendant à rétablir un contrôle sur les gouvernemens américains « qui ont déclaré leur autonomie, l’ont maintenue pour