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encore le salut de son héroïque patrie. Il a conté avec animation les dangers auxquels il s’est exposé pour elle, son arrestation en Prusse, d’où on s’apprêtait à le conduire sous escorte à, Pétersbourg, son évasion à travers des bois immenses, tout couverts de neige. Pour pouvoir traverser l’Allemagne, au retour, il a dû se donner pour acteur et voyager avec Hervey, qui, après de grands succès en Pologne, rentrait en France.

La Reine, pendant ce temps, errait au bras de miss Brook, une beauté qui revient de Florence, et s’attendrissait à parler de l’Italie. Toute notre compagnie s’est reformée devant les salons, où des tables richement dressées se remplissaient et se vidaient tour à tour. M. Walewski nous a montré là un jeune cavalier blond, de tournure militaire, qui n’était autre que le tyrannique duc de Brunswick, récemment déposé par son peuple et remplacé sur le trône par son frère cadet. J’aurais voulu m’accrocher au bras du Prince ; il est toujours mon appui, dans ces foules qui m’intimident et me font sentir le peu que je suis. Mais le major Webster, un de ses amis du soir, est venu le relancer pour l’entraîner chez la duchesse de Saint-Alban, et c’est seules avec lady Glengall que nous avons réclamé notre voiture et regagné noire logis.

Avant-hier, vendredi, course à Richmond, déjeuner chez la marquise de Byonde. Nous avons fait route avec lord Dudley et son petit Frenk (diminutif de Francis), charmant enfant de six ans dont le Prince s’est amusé tout le long du chemin. La maîtresse de maison attendait ses hôtes dans une belle bibliothèque, près d’un grand feu de cheminée. Elle est âgée, souffrante, mais parfaitement aimable, de cette bonne grâce anglaise qui craint d’attenter à la liberté des autres et produit à tort sur nous, Françaises, l’impression de la froideur. Le fait est qu’à l’instant du déjeuner, chacun s’est assis à sa guise, sans que personne s’occupât de placer les gens ni de leur faire les honneurs. J’étais restée debout près d’une porte du jardin ; sur un signe du Prince, toujours attentif et bon pour moi, je suis venue me ranger à côté de lui.

Un lord James Stuart, de la famille royale, était là, avec sa femme, très gracieuse, puis le duc et la duchesse de Saint-Alban, celle-ci de fort méchante humeur : nous avons su bientôt pourquoi. C’est que le matin même, en se rendant à Richmond, elle avait rencontré sur la route un valet à cheval