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chaque jour, amène à la Reine des figures nouvelles, parmi lesquelles il s’en trouve de jeunes et de charmantes.

Les deux misses Keanes sont sans doute les plus agréables et miss Godfrey la plus intéressante. Celle-ci, élevée en Irlande, parle le français, l’italien, et joue du piano à ravir ; c’est un chef-d’œuvre de cette bonne et solide éducation anglaise, si bien faite pour élargir les esprits, accentuer les mérites et développer les talens.

Le Prince l’appelle sa Malvina ; je l’ai surpris un soir racontant tout au long ce roman à la jeune fille, et, comme nous l’avons reconduite après chez elle dans notre voiture, il a découvert pour la première fois de sa vie que le clair de lune est une jolie chose. Depuis, l’inclination que les deux jeunes gens paraissent éprouver l’un pour l’autre et que la Reine encourage, sachant qu’il n’y a rien là que d’honnête et innocent, a ramené chaque jour miss Godfrey chez nous. Elle sert d’interprète auprès d’un peintre, devant qui nous posons tour à tour. Le Prince fait des dessins pour elle ; en lui parlant des Indes, de l’Irlande et de tout ce qui peut les intéresser, elle le détourne de la politique, et elle est pour moi-même d’un précieux secours auprès de la Reine, qui l’écoute jaser avec intérêt.

Le Prince est d’ailleurs toujours dans la même agitation. Ayant lu ici le Précurseur, qui contient la déclaration de guerre des (neutres et qui trompette les projets de la Duchesse de Berry, il s’est piqué au jeu et s’est mis à préparer une petite brochure, qui est elle-même un cartel de défi à l’adresse de Louis-Philippe : Mme Lennox en sera contente, mais la Reine ne l’est pas. Sous prétexte de corrections et de retouches, elle a réussi jusqu’à présent à retarder l’impression de ce pamphlet ; elle compte aussi sur le prochain départ pour faire diversion et couper court à ce projet malencontreux.

Il a été décidé que nous retournerons demain à Londres, d’où nous repartirons au plus lot pour venir nous embarquer à Douvres. Ce plan était fixé dès dimanche, et je ne supposais pas que le Prince dût nous devancer à Londres, quand ce même matin-là, par un temps affreux, je l’ai vu qui montait en voiture avec M. Fox. La Reine m’a dit simplement qu’il avait besoin de montrer ses dents à un dentiste, que d’ailleurs il avait reçu le matin une lettre de M. X… J’ai compris qu’il s’agissait de la rencontre avec M. Mauguin et me suis