Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/906

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avait d’autre mobile que la peur ou l’amour du butin. A Chéronée, sous l’influence d’un grand patriote, Athéniens et Thëbains se battent avec une admirable bravoure. Ils ont retrouvé leur vertu militaire des temps héroïques. Mais on ne supprime pas par un coup d’éclat une situation créée par de longues années d’incurie, de mollesse, d’égoïsme, d’indifférence au bien de la patrie : la Grèce tomba dignement, mais elle tomba. » Elle tomba parce qu’un pays pour qui les jeux de la parole, le plaisir, la haine des aristocraties, sont la plus importante affaire, ne fournit plus de citoyens ni de soldats.

Il importe de remarquer que, même au temps où la Grèce se déchirait implacablement elle-même, proie préparée à cette Prusse de l’antiquité que fut la Macédoine, il y avait encore en elle le sentiment vague d’une patrie commune. Ce sentiment se cristallisait dans le conseil amphictyonique, les grands jeux nationaux, la vénération de certains sanctuaires fameux, Delphes et Olympie ; surtout il y avait le lien formé par la culture intellectuelle, morale et esthétique de l’Hellade. Là, en opposition avec la barbarie asiatique, était l’unité de la Grèce ; mais celle-ci n’arriva pas à former une grande pairie.

De même, à mesure que s’affaiblissaient les vieilles croyances, la cité antique se montrait plus libérale et plus confiante envers l’étranger, traité comme un ennemi tant que la religion maintint sa sévère domination sur les âmes. Au temps d’Hérodote, Sparte n’avait encore accordé le droit de cité à personne, sauf à un devin recommandé par un oracle ; Athènes le concédait parfois, mais en prenant mille précautions : « C’est, expliquait Démosthènes, qu’il faut penser aux dieux et conserver aux sacrifices leur pureté. » Exclure l’étranger, lui refuser part à la religion et aux sacrifices, c’est « veiller sur les cérémonies saintes, » complaire aux dieux nationaux. Qui sait si l’étranger ne cherchait pas, par cette affiliation, à altérer les sacrifices, à trahir sa nouvelle patrie au profit de l’ancienne ? Même méfiance, mêmes rigueurs contre lui, à Rome, dans le vieux droit quiritaire formaliste et rude : adversus hostem æterna auctoritas esta ! Et la religion romaine décrétait que le tombeau de l’esclave est sacré, mais que celui de l’étranger ne l’est pas. C’était un préteur particulier, prætor peregrimis, qui le jugeait à Rome ; à Athènes, c’était le polémarque, magistrat chargé de l’administration de la guerre et des relations avec l’ennemi. Mais, au