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qui ont charitablement prodigué à nos blessés les soins les plus empressés. Sévères aussi sont les reproches que M. Alcalá Galiano adresse aux agités de la politique, à ces coureurs d’aventures et à ces utopistes, que l’ancienne Espagne a trop connus pour son malheur, sous le nom d’arbitristas, et dont Cervantes disait qu’ils sont aussi funestes à eux-mêmes qu’à la république, car ils s’en vont toujours mourir dans les hôpitaux., A peine les armées allemandes avaient-elles violé la frontière de Belgique que nos gens se mirent à vociférer : Gibraltar ! Tanger ! Portugal ! et s’armèrent… de leur plume pour remanier la carte de l’Europe et de l’Afrique. Profitons de l’occasion, s’écrièrent-ils, l’Allemagne compte sur nous, n’hésitons pas à réaliser le rêve, caressé par tous les vrais patriotes, de la « plus grande Espagne, » portons un coup fatal à l’Angleterre exécrée ! M. Alcalá, Galiano réprime en quelques phrases fort judicieuses et concluantes cette levée de boucliers de carton. « Croire que l’Allemagne éprouve pour nous des sympathies, que son empereur nous est reconnaissant, qu’il a un intérêt quelconque à agrandir l’Espagne ou qu’il pense à nous rendre Gibraltar, ce sont là des chimères que seuls peuvent se forger des esprits puérils, qui attendent le triomphe du Kaiser comme les petits enfans attendent la venue des Rois Mages. » Ces utopistes ne voient pas le piège que tend l’Allemagne aux Espagnols, cherchant à réveiller leur haine contre la France et l’Angleterre et qui, selon l’heureuse expression de notre auteur, « voudrait se servir d’eux, dans l’ordre spirituel, comme elle s’est servie de la Turquie dans l’ordre matériel. » Que deviendrait l’Espagne avec une France ennemie sur terre et une Angleterre qui lui couperait ses communications maritimes, sans parler du sacrifice absurde de la plupart de ses intérêts commerciaux et de la rupture des liens géographiques ou ethniques qui la rattachent à notre pays ? Et ne vaut-il pas cent fois mieux s’entendre avec la France au Maroc qu’avec une Puissance dont on connaît les théories sur les nations faibles ? Que resterait-il à l’Espagne, au bout de quelques années, de sa nouvelle colonie, si elle attirait à ses côtés ceux qui partout et toujours exigent la part du lion ? — Tant de bon sens, de rigueur dans le raisonnement et de clarté dans l’expression cause une impression rassurante : la brochure très opportune de M. Alcalá Galiano, nous en avons la ferme conviction, triomphera de bien des