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que les rois, tyrans sur leurs terres, brigands sur les grandes routes, les lois n’offrant aucune garantie dans leur application, tous les excès de l’état sauvage combinés avec tous les vices d’une civilisation finissante. « Ce qu’il faut dire, remarque Henry Houssaye, c’est que ce gouvernement si corrupteur, ce peuple si corrompu, cette administration si mauvaise, cette armée si misérable ont fait durer l’Empire pendant plus de neuf cents ans, qu’ils ont résisté à vingt peuples, retardé de longs siècles l’invasion des Turcs, donné le christianisme aux Slaves, la civilisation aux Arabes, et, à l’Occident, le trésor des lettres grecques. » Et pourquoi tant de mérites ? Parce que Justinien et son épouse, la basilissa Théodora, Héraclius, Manuel Comnène, Jean Tzimiscès, Nicéphore Phocas, Basile II, Constantin XIII, beaucoup de basileis, de généraux, de ministres byzantins eurent le sens de l’État, le sens de l’Empire, de ce que nous nommons aujourd’hui la patrie, et se dévouèrent fortement « à la consécration de l’harmonie impériale. » Multiplier les fondations de villes, renouveler partout les fortifications des cités, élever d’espace en espace des citadelles, protéger les frontières par des lignes continues de retranchemens, donner aux nouvelles et aux anciennes provinces la paix et la tranquillité, voilà leur premier soin. Par l’unité de la religion et de la langue, par sa législation, ses tribunaux, ses routes, ses relais de poste, ses hôpitaux, ses arts, son industrie, son commerce, l’absence de castes et de fiefs, dans les premiers siècles du moins, — une aristocratie féodale finit par se constituer, — par l’égalité et la liberté civile, par sa faculté d’assimiler les élémens les plus hétérogènes, slaves, thraces, italiens, arméniens, arabes, caucasiens, l’Empire donne en même temps la sensation d’un État fortement constitué, très supérieur au monde barbare qui l’encercle. Ses chefs, dans l’ensemble, ont bien mérité de l’humanité, de leur pays. Remarquons encore, avec Alfred Rambaud, que Byzance reçoit les étrangers incultes, sauvages et les rend à la civilisation impériale lettrés, savans théologiens, habiles administrateurs, fonctionnaires déliés. « À la fois langue administrative, langue d’église, langue littéraire, le grec avait un faux air de langue nationale… La religion, par ailleurs, faisait à l’État un faux air de nationalité. » Non seulement un faux air, mais, avec les autres facteurs, les caractères réels d’une patrie. Pendant son long règne,