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REVUES ÉTRANGÈRES.

De Berlin, où l’on a mis à sa disposition un automobile spécial qui n’a que le léger défaut d’être un peu bien rapide, M. Hun Svedend est conduit en France. Dans un des villages qu’il traverse, il admire le spectacle réconfortant d’une demi-douzaine de soldats attablés, avec une parfaite harmonie fraternelle, au milieu du chœur d’une église en ruines. Partout, d’ailleurs, il découvre des scènes lugubres de dévastation qui achèvent de le rendre sévère à l’égard des « politiques déloyales » de la France, de la Belgique, surtout de l’Angleterre. « Lorsque, nous dit-il, l’on a vu de ses propres yeux toute la somme de destruction et de misère qui résulte de la guerre présente, l’on ne peut pas s’empêcher de songer que pas une église ni un château n’auraient été touchés, si l’Angleterre s’était conduite plus honorablement. » Et pourtant M. Hun Svedend ne peut pas s’empêcher, non plus, de reconnaître qu’il y a, jusque dans les ruines qui l’entourent, quelque chose d’étrangement « pittoresque, » où s’atteste le génie artistique de la race allemande.

Sans compter que cette race a, décidément, des vertus d’organisation pratique qui pénètrent de stupeur l’explorateur Scandinave. « Que l’on prenne, par exemple, la manière de tirer le canon ! En France et en Angleterre, naturellement, ce tir doit s’effectuer au hasard. Chacun lance son coup lorsque l’idée lui en vient. Mais dans l’armée allemande, oh ! quelle différence ! Chargez ! commande d’abord le chef de la batterie. Puis : Préparez le feu ! puis encore : Feu ! Alors seulement le canon se décharge. Impossible d’imaginer un travail plus méthodique. »

M. Hun Svedend a l’honneur ineffable d’être invité à dîner, tour à tour, par l’empereur Guillaume, « le plus grand amoureux platonique de la paix qu’il y ait jamais eu, » et par son charmant et spirituel héritier, le Kronprinz. L’Empereur lui parle confidentiellement de la France, qu’il aime de tout son cœur, et pour laquelle il attend grand profit de la prochaine victoire des armées allemandes. « Si les Français, — s’écrie le voyageur, — avaient la moindre idée des véritables sentimens de l’Empereur à leur endroit, nul doute qu’ils le jugeraient tout autrement qu’ils le font. Mais le plus étrange, et ce que le Kaiser lui-même n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi les Français n’en ont pas l’idée. À coup sûr, pourtant, ils ne peuvent pas avoir l’esprit assez enfantin pour se laisser influencer par les mouvemens hostiles des troupes allemandes ! »

Quant au Kronprinz, ce jeune stratège a même poussé la bonté jusqu’à daigner entretenir son convive de ses vues militaires. « Avec