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devenaient suspects en se promenant sur les remparts, ou seulement en montrant l’arsenal du doigt, et on leur interdit, en 1595, de monter sur la cathédrale.

Observons que Strasbourg ne fut pas seulement, comme l’a dit Bossuet, la ville la plus savante de la Réforme, celle qu’on proposait pour modèle de discipline, elle devint au xvie siècle, en même temps qu’un centre diplomatique international, une capitale à la fois politique et intellectuelle de l’Alsace. Il importe donc d’autant plus de montrer que, selon l’expression d’un historien aussi sage et aussi réservé que M. Reuss, « son annexion politique avait été précédée dans une certaine mesure d’une annexion intellectuelle[1]. »

De tous les États faisant partie de ce grand corps amorphe, le Saint-Empire romain, et que ne reliait plus qu’une ombre de puissance, la République de Strasbourg était le plus indépendant. Elle était la plus libre des villes libres. Seules Ratisbonne et Bâle avaient été, comme elle, dispensées de tout serment d’hommage et de fidélité à l’Empereur, même quand il venait dans la cité, et Ratisbonne avait perdu ce privilège en 1492. Quant à Bâle, elle avait rompu tout lien avec l’empire en entrant dans la Confédération helvétique. Une seule fois l’indépendance de Strasbourg parut fléchir. La ville, après la défaite de Mühlberg (1547)[2], était à la merci de Charles-Quint, qui contraignit le magistrat à lui prêter serment. Mais le magistrat le prêta seul, et non point l’ensemble du peuple, comme cela se faisait dans les autres villes libres de l’empire, et, avant de le prêter, il protesta solennellement devant notaire que son serment était un acte contraint et forcé qui ne pouvait préjudicier en rien aux droits de la ville. Cette protestation, le magistrat la renouvela en public, quand, en 1552, Charles-Quint étant présent, le vice-chancelier redemanda la prestation du serment. Le serment fut refusé, et l’affaire en resta là. Même refus et même

  1. Notes pour servir à l’histoire de l’Église française de Strasbourg (1538-1794), Strasbourg, 1880, p. 70.
  2. Peu de jours avant la bataille, le 15 avril 1547, Jean Sturm écrivait au connétable de Montmorency : « il sera fort difficile de leur faire faire ce serment de fidélité… si est-ce que depuis les Otto, jamais (Strasbourg) n’a fait serment de fidélité à aucun Empereur, mais au contraire a toûjours esté plûtost estimée comme alliée que subjette à l’Empire. » (Ribier, Lettres et Mémoires d’Estat Paris, 1666, II, p. 4.)