Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

par un érudit strasbourgeois qui portait un nom prédestiné, Nachtgall, latinisé, selon l’usage de l’époque, en Philomela et Luscinius. Quelle attrayante figure où domine l’harmonie célébrée par Érasme ! Il vient tout jeune à Paris, il y étudie le grec avec ardeur, sous la direction de Jérôme Aléandre (1508), il y prend le goût des bonnes lettres, il le développe et le satisfait à Louvain et à Padoue, bien plus, en Grèce même et jusqu’en Asie Mineure. Rentré dans sa patrie, il y introduit l’étude du grec, et, par le charme naturel et acquis de son esprit, par son caractère spirituel et aimable, plein de mesure, par sa conversation enjouée et vive, il est pour beaucoup dans cette atmosphère heureuse dont Érasme a ressenti et décrit le charme. Il jouait délicieusement de la flûte, et je me le figure, tel l’orateur antique, recevant de la flûte le ton de son discours.

Si doux et tolérant que soit son naturel, il n’échappe pas plus que ses compatriotes au goût de la satire et de la facétie. Il publie un recueil d’anecdotes facétieuses (Joci ac sales), précédé d’une apologie de l’esprit. Sa verve satirique se nourrit et s’affine par le commerce familier avec Lucien, et l’emporte ainsi en finesse sur Murner, en ironie sur Brandt.

N’est-ce pas ici un trait d’union curieux avec l’esprit français tel qu’il s’incarnera en Rabelais ? et combien me paraît juste cette réflexion d’un Strasbourgeois d’il y a cent ans, l’ancien maire de Strasbourg, Hermann : « Il paraît que les Strasbourgeois d’ancienne roche placés entre deux grandes nations dont ils pouvaient étudier et comparer le caractère et les mœurs, et entretenant un commerce fréquent avec un grand nombre d’étrangers qui venaient visiter leur ville, étaient très disposés à l’esprit de satire[1]. »

Rien n’est plus juste, et les noms de Murner, de Sébastien Brandt, de Jean Fischart, contresignent cette vérité pour l’Alsace entière. Plus que tout autre, Jean Fischart est le type accompli de cet esprit de terroir et nous permet de saisir ses affinités avec le génie français. Il mérite bien, toutes proportions gardées et toutes réserves faites, le nom de Rabelais alsacien, moins pour avoir adapté le Gargantua (1575), que pour l’ensemble de sa luxuriante production.

C’est un esprit encyclopédique en même temps que cosmo-

  1. Hermann. Notices historiques sur la ville de Strasbourg (Strasbourg, 1819), II, p. 302.