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vous comprendrez, alors, à quel paroxysme de haine peut s’élever son patriotisme, que Henri Heine comparait à un cuir rétréci par la gelée. « Un jour à Gœttingue, dans un cabaret à bière, conte le délicieux poète de l’Intermezzo, une jeune Vieille-Allemagne dit qu’il fallait venger dans le sang des Français le supplice de Konradin de Hohenstaufen que vous avez décapité à Naples. Vous avez certainement oublié cela, depuis longtemps ; mais nous n’oublions rien, nous. » A plus forte raison semble-t-il aux Allemands d’aujourd’hui que, comme l’a dit M. Lavisse, le Palatinat soit toujours en flammes, Louis XIV à Versailles, et Napoléon à Paris. « On nous croit flegmatique, a écrit de Treitschke, nous sommes le plus haineux des peuples. » N’est-ce pas sous l’influence de ce sentiment que s’est constitué l’Empire ? Vindicatif et rancunier à l’excès, l’occasion se présente-t-elle à l’Allemand d’assouvir sa rage, il ne connaît plus de bornes. Nous en avons eu quelques exemples en 1870, pâles prodromes, il est vrai, de la folie sanguinaire d’à présent, mais symptomatiques tout de même. A Paris, dans la nuit du 8 au 9 janvier 1871, le Muséum fut bombardé. A Versailles, le quartier de Clagny fut mis à sac par la landwehr. « Chaque fois que M. Trochu fera une sortie, nous viendrons tout piller, » déclarent ces braves. A Saint-Cloud, l’armistice déjà signé, des soldats, armés de bouchons de paille, enduisent de pétrole les maisons. Le professeur Jahn ne souhaitait-il pas, dès 1810, que le pays des Welches devînt un désert peuplé de bêtes fauves ? « Les vieux couvens, prophétisait-il, se transformeront en nids à hiboux ; les créneaux des tours consumées par le feu en aires pour les aigles ; des incendies prépareront des repaires aux hyènes ; des labyrinthes souterrains serviront de réduits aux serpens venimeux[1]. » A son exemple, Goerres et Stein parlent déjà de brûler la capitale des Français.

Avec la brutalité, la fourberie est naturelle aux Germains. Elle remonte chez eux à la plus haute antiquité, ainsi que nous en convainc la conduite d’Arminius, leur héros national, qu’Heinrich von Kleist a célébré en un long poème. Officier dans l’armée de Varus, dont il avait su capter la confiance, il l’attira dans un guet-apens, non sans avoir au préalable dépecé une jeune Germaine et envoyé les morceaux, en témoignage de

  1. Jahn, Deutsches Volksthum. Lubeck, 1810.