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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/176

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répéter cette sage parole qu’il ne tint pas à lui de respecter jusqu’au bout : « Ich war kein Kolonial, Colonial, ah non ! je ne l’étais pas ! » C’est à la seule défense, au seul affermissement de son Empire en Europe qu’il voulait consacrer les pensées et les forces de l’Allemagne ; c’est à l’occupation de territoires européens, à la colonisation des Marches germaniques, à la germanisation du Slesvig, de l’Alsace et de la Pologne, qu’il voulait dépenser le surplus toujours croissant de la natalité allemande.

M. de Bülow célèbre l’activité et l’énergie que Bismarck déploya dans cette « lutte pour le sol, » dans cette « offensive nationale de l’Etat prussien pour sauver, conserver et, si possible, fortifier le régime allemand » sur les frontières de l’Est. Bismarck posait la question comme M. de Bülow : « Devons-nous nous prêter, devons-nous contribuer par notre inaction à ce que les provinces de l’Est, c’est-à-dire la Posnanie, la Prusse occidentale et certaines parties de la Silésie et de la Prusse orientale soient reperdues par les Allemands, — oui ou non ? » Et Bismarck répondait, comme M. de Bülow : « Quiconque a des sentimens nationaux allemands pensera que cela ne doit jamais arriver, que c’est le devoir et le droit des Allemands de conserver nos possessions nationales dans l’Est prussien et, si possible, de les augmenter. »

Au nom du patriotisme allemand, Bismarck faisait travailler l’Allemagne tout entière à l’extension et au renforcement de la Prusse dans l’Est ; pour le salut de la Nation, disait-il, il tournait tout l’effort de l’Empire vers la conquête prussienne de nouveaux duchés ou même de nouveaux royaumes forains, d’où le Hohenzollern tirerait de nouvelles ressources en hommes et en argent, afin de mieux tenir l’Empire. C’était rentrer dans la tradition des plus anciens empereurs et combiner l’éternelle tension des Allemands vers les territoires du voisin avec l’éternel besoin du margrave-empereur de grandir en forces personnelles, à mesure que l’Empire croissait en population et en appétits. Pareille politique raciale surexcitait, il est vrai, l’antagonisme des nationalités slaves, danoises, françaises, que Bismarck avait enfermées, bon gré mal gré, dans les limites et sous la tyrannie de son Etat. « Mais ce sont là, dit M. de Bülow, de dures nécessités auxquelles il faut se conformer le cœur gros ; la politique est un rude métier dans lequel les âmes sensibles arrivent rarement à produire un chef-d’œuvre. »