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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/180

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tout le programme du système et toute la raison de cette puissance bismarckienne : « Après la guerre nationale, qui fut glorieuse, voici la paix nationale qui ne sera pas moins glorieuse. »

il avait fallu le pouvoir absolu de Bismarck pour que la guerre nationale fût profitable et glorieuse : si Bismarck ne se fût pas entêté en 1862 à avoir raison contre tous, qui donc aurait préparé les succès de 1866 et de 1870 ? Il fallait maintenant encore la dictature de Bismarck pour que les mêmes profits et la même gloire sortissent de la paix nationale. Chaque fois qu’il jugerait utile d’avoir raison, fût-ce contre tous, qui donc oserait lui reprocher son entêtement ? Dès la première session du Reichstag, il tenait aux Polonais un langage qu’il ne se permit jamais envers les députés de sang germanique, mais qui fut toujours dans sa pensée : « Vos électeurs ont combattu avec le même courage et le même dévoûment que tous les autres [Allemands] pour la cause qui nous réunit ici ; ils ont la même reconnaissance pour les bienfaits de la Kultur et de la législation allemandes. Mais vous n’êtes pas le peuple, vous ; vous n’avez pas le peuple derrière vous ; vous n’avez derrière vous que vos fictions, vos illusions, celle entre autres de croire que vous avez été élus par le peuple pour représenter ici la Nation. »

Le vrai, le seul, le digne représentant de la Nation, c’était Bismarck. Quel bien la Nation mettait-elle au-dessus de son unité ? quelle ambition avait-elle qui pût la distraire de la défense de cette unité ? quel avenir semblait plus détestable au Peuple que ces temps de triste mémoire où le manque de discipline nationale faisait régner partout la discorde et la guerre, partout la famine et le deuil ? et qui pouvait maintenir la discipline nationale, sinon celui qui l’avait relevée ? Créateur de la Nation, de l’Empire et du Reichstag, Bismarck leur parlait comme Dieu lui-même à sa créature : « Ego sum resurrectio et vita… J’ai été la résurrection ; je suis encore la vie ; il faut croire en moi pour ne jamais mourir… » Et les Allemands crurent aveuglément en Bismarck aussi longtemps que leur vie nationale leur parut menacée, et ils crurent qu’elle était menacée aussi longtemps que Bismarck lui-même, en le leur disant, leur prouva par ses actes qu’il le croyait aussi.

Cette croyance au perpétuel danger de la Nation était assez naturelle chez les Allemands de 1870 à 1890 : on ne passe pas,