Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La fenêtre laissait ouïr la voix connue
De la fille du paysan qui ramenait
La vache dont l’entrave de bois lourd traînait.
Silencieux soudain devant la nuit venue,
Chacun, fixant un point invisible, songeait…


(Un vers charmant, puis un vers si mauvais ; et « fixer » qui n’a jamais voulu dire « regarder. » C’est grand dommage ! )


Et moi qu’on oubliait sur la chaise trop haute,
Sans rêve intérieur où fuir le soir tombant,
Je cherchais, n’ayant pas de remords, quelle faute
Faisait que, chaque face ainsi se dérobant,
On me laissât tout seul en proie à ce qui ôte,
Dans l’ombre, la parole et la vie aux enfans.


Les rimes ne sont pas toutes également bonnes ; et André Lafon, qui n’écrivait point en vers libres, avait adopté, malheureusement, l’usage de ses contemporains : il prenait, sans méthode et selon ses commodités, des libertés. C’est grand dommage ! Mais enfin, dans ce poème, que de sensibilité exquise ; et aussi que de soumission ! Cette alarme perpétuelle, tant de facilité à souffrir ; et une sérénité volontaire, une sagesse de l’esprit dominant le trouble du cœur : voilà le caractère de l’élève Gilles et de l’auteur, qui lui ressemble.


Je dis que l’auteur ressemble à son héros. Pareillement, je notais qu’André Lafon, jusqu’avant la guerre, était répétiteur dans une école près de Paris, et qu’il était pauvre… D’un vivant, on n’ose connaître que les livres ; et, sans trop d’embarras, on traite un peu autrement un mort. Est-ce familiarité indiscrète ? Non. Mais le vivant, pour se faire comprendre mieux, est là, et n’a qu’à parler, à écrire. Le mort, on veut l’aider. Les circonstances de la vie qu’il a menée l’excuseraient et, cette fois, l’honorent grandement et, en tout cas, donnent à sa pensée, à son œuvre, une signification plus vraie. Je crois aussi que les œuvres les plus parfaites, les pensées les plus souveraines se passent aisément d’un tel commentaire. L’écrivain les a menées à un état de réalité complète : et elles se passent de lui désormais. Il n’en est pas de même des essais que laisse en mourant un jeune homme.

Au surplus, l’analogie d’André Lafon et de son élève Gilles, André Lafon nous invitait à ne pas l’ignorer. « Vous qui vous pencherez sur ces pages, avec l’émoi d’y revoir, parmi tant de choses mortes, des figures jadis connues, ne soyez point étonnée de trouver l’enfant qui se raconte si peu semblable à votre souvenir. Mais rappelez-vous