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manie et sans doute cela est regrettable ; mais il y a beaucoup de pays qui n’ont pas, sur tous les points, de frontière naturelle avec un de leurs voisins et qui s’accommodent de cette situation ; la politique y pourvoit. Le Banat de Temesvar a été et est encore la principale difficulté entre la Roumanie et les Alliés : sur tout le reste, l’accord est à peu près fait. La Russie a revendiqué longtemps la ville de Czernowitz que la Roumanie voulait également : on assure qu’elle n’en fait plus une difficulté. L’esprit de conciliation a été poussé aussi loin que possible chez les Alliés : si la Roumanie résiste encore, c’est que son parti est pris et qu’elle est résolue à ne pas intervenir.

Il y a chez elle tout un parti qui travaille éperdument au maintien de la neutralité. Un de ses principaux représentans est M. Margilhoman, chef du parti conservateur. On pourrait dire chef intermittent, car sa situation a été singulièrement instable, agitée et mouvementée, depuis quelques semaines. Rendons-lui la justice qu’il n’a pas varié : il est neutre, il veut rester neutre, son parti est pris et rien ne l’en fera démordre. Est-il donc hostile aux Alliés ? Il ne faudrait pas le lui dire. M. Margilhoman met la main sur son cœur quand il parle de la France ; il fait profession de l’aimer et se croit sincère ; mais il aime aussi l’Allemagne et serait au comble de ses vœux si les deux pays pouvaient se réconcilier : sa conscience y gagnerait un grand repos. Il est fâcheux que la réalisation de ce rêve soit impossible. M. Margilhoman restera donc neutre, quoi qu’il arrive ; mais beaucoup de ses amis sont loin de partager ses sentimens. Une première fois, le parti conservateur, dont il est le président, l’a mis en demeure de donner sa démission et il a dû se résoudre à le faire, mais il ne l’a pas fait sans esprit de retour : il n’a songé qu’à prendre sa revanche et y a réussi. Comment ? En faisant appel aux groupemens conservateurs dans le pays. Désavoué par la capitale, il a été vengé et relevé par la province. Est-ce à dire que le pays, le vrai pays, soit partisan de sa politique ? Rien n’est moins certain ; le contraire est même fort probable ; mais M. Margilhoman est le représentant d’un syndicat de grands propriétaires et d’industriels qui sont favorables à la neutralité, parce qu’ils en tirent de grands profits personnels : ils s’enrichissent en vendant à l’Allemagne des céréales, du pétrole, etc. On affirme même, mais nous ne sommes nullement en mesure de le garantir, qu’un des motifs principaux qui retiennent la Roumanie est que les grands propriétaires ont déjà vendu à l’Allemagne une récolte qui est encore sur pied. S’il en est ainsi, on pourra dire que la Roumanie, nouvel Esaü, aura vendu son droit d’aînesse