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procédé, que j’ai depuis appliqué plus d’une fois dans des circonstances moins importantes, a toujours produit un bon effet. Cette fois, le mystère a été si bien observé que, quelques heures avant mon départ, Mme Kaïrolf, correspondante du Golus, est venue me demander s’il était vrai que j’allais partir comme on le disait en ville, « car, ajouta-t-elle, vos jeunes gens sont si bien dressés que, lorsqu’on les interroge, ils font des figures bêtes et étonnées et ne répondent rien. » Je la remerciai de ce compliment, qui était le meilleur éloge qu’elle put faire de mon personnel.

Pour les consuls, j’avais dressé, avec l’aide de M. Goubostoff, un tableau de tous nos agens consulaires qui n’étaient pas gens du pays, et nous les partageâmes en trois catégories : les plus éloignés, qui avaient plusieurs jours à voyager pour arriver à une frontière étrangère quelconque ou à un port de mer ; les moins éloignés, qui étaient à portée d’un port de mer ; et ceux qui se trouvaient déjà dans une ville du littoral où ils pouvaient s’embarquer à tout moment. Les premiers reçurent l’ordre de partir immédiatement, sous prétexte de congé, vers la frontière ou la côte. Les seconds étaient prévenus qu’au premier ordre télégraphique, ils auraient à se rendre dans le port de mer le plus rapproché et dont nous avions pour chacun d’eux calculé la distance en journées de voyage pour les y faire aller à temps. Enfin, les troisièmes reçurent l’avis que la rupture était probable et qu’ils avaient à régler leurs affaires de façon à pouvoir s’embarquer dès que l’ambassade aurait quitté Constantinople. Ces dispositions ont été si bien prises et exécutées qu’aucun de nos consuls n’eut aucun désagrément ; tous partirent presque au même moment que moi. Le consul général d’Erzeroum, M. Obermuller, seul, s’étant attardé, a dû prendre une route détournée, le grand chemin étant déjà occupé par les troupes en mouvement, et il a manqué tomber entre les mains de l’ennemi. Ce n’est qu’après de longues et pénibles pérégrinations, très périlleuses, qu’il réussit à regagner, par Kars, nos avant-postes, qui étaient déjà en territoire ottoman.

Quant aux mesures de sécurité qui m’avaient été prescrites pour le départ de l’ambassade, j’étais bien décidé à ne point m’y conformer, trouvant qu’il était peu digne d’un représentant de la Russie de se sauver et de fuir en cachette dans un pareil moment. Je me réservai donc d’en aviser le ministère juste à