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leur disions aujourd’hui : « Quoi que vous fassiez, vous ne vendrez pas plus cher. » — Si cette mesure portait atteinte au commerce, elle ne détruirait que le commerce de gros, et ce ne serait pas un grand mal. Le commerce des grains a toujours été nuisible à la société. »

Quelques hommes, cependant, eurent le courage de protester au nom de la raison et de l’intérêt public. Il est bon, croyons-nous, de citer des paroles qui, à cette heure-là, témoignaient d’un superbe mépris de la persécution ou de la mort.

C’est le 30 avril 1793 que Ducos osait dire : « Le tumulte scandaleux qui m’a troublé dans le cours de mon opinion tient aux idées erronées, aux préjugés invétérés du plus grand nombre des citoyens sur la matière des subsistances, préjugés qui, pour le dire en passant, leur ont été inspirés par le despotisme quand il donnait autrefois le pain bon marché au peuple pour avoir à son tour bon marché de son silence et de sa soumission. Oui, citoyens, il n’est pas inutile de vous le faire remarquer ici, la doctrine que je prêche fut de tout temps celle des amis éclairés de la liberté, et celle que je combats, tout ce système d’entraves, de gênes, de taxations, de recensemens, de visites domiciliaires, d’amendes, de fers, est renouvelé des intendans, des parlemens, des Conseils d’Etat et de tous les agens et sous-agens de l’ancien régime… »

Voilà ce que pensait un conventionnel de la valeur politique du système de taxations d’office, et il ajoutait avec raison en parlant de ses conséquences :

« Le cultivateur peut dire à son tour : « Taxez à une proportion raisonnable tous les comestibles, tous les objets principaux d’industrie, toutes les avances et tous les travaux, ou ne taxez pas le produit de mon travail. » Il faut donc tout taxer si vous voulez taxer le prix du grain ; c’est le seul moyen d’établir une proportion entre le prix des choses et les salaires, mais comme cette proportion s’établira bien mieux par la force des choses que par vos calculs, comme les échanges sociaux sont toujours justes quand ils sont libres, parce qu’ils sont l’ouvrage des intérêts respectifs et le résultat de leurs conventions, tandis que ce qui est forcé est souvent injuste parce que le législateur ne sait pas tout, comme l’intérêt privé qui n’oublie rien, il en résulte qu’il vaut mieux ne pas établir de taxe…

« L’intérêt privé est toujours plus habile que les lois