Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exclusivement appuyée sur le culte traditionnel de l’« individualisme. » J’ai eu déjà l’occasion de m’étonner, ici même, de l’aisance avec laquelle des correspondans de journaux anglais avouaient leur invincible sympathie à l’égard des troupes allemandes de l’un ou l’autre « front. » Pareillement, il y a aujourd’hui en Angleterre, contrastant avec le généreux enthousiasme guerrier de la grande majorité de leurs compatriotes, des orateurs ou des écrivains qui ne se lassent pas de condamner tout haut l’intervention de leur pays aux côtés de la France et de la Russie, — soit qu’ils allèguent telle doctrine philosophique ou religieuse qui leur interdit d’approuver aucune guerre, ou bien même ne se lassent pas de répéter imperturbablement que le devoir de leur pays sera toujours de marcher d’accord avec l’Allemagne. Et voici en quels termes, à tout le moins imprévus, le professeur Paterson, dans une préface écrite après dix mois de guerre avec l’Allemagne, s’efforce d’expliquer au public anglais le véritable objet de son entreprise :


Le monde entier savait depuis longtemps que les Allemands étaient un peuple très hautement doué au point de vue intellectuel, profondément instruit, et possédant des qualités exceptionnelles d’application, comme aussi de sérieux. Mais il se trouve que, de nos jours, ce peuple a élevé ses prétentions au-dessus de cela. Imprégné d’une conviction excessive de sa propre valeur, il s’est proclamé désormais une aristocratie intellectuelle et morale dont la civilisation représente le type le plus parfait du progrès humain. Il me serait facile de citer, comme preuve de cet état d’esprit, une série de passages isolés de leur contexte, dans l’œuvre de certains philosophes et théologiens, historiens et poètes de l’Allemagne contemporaine. Mais bien plus significatif encore m’apparaît l’effort assidu des Allemands pour installer, au fond de l’âme populaire de leur race, l’idée de la supériorité de celle-ci sur les autres races, effort dont un exemple caractéristique nous est fourni dans un ouvrage intitulé le Peuple Allemand, et publié sous la direction du docteur Hans Meyer. Cet ouvrage, qui jouit manifestement de la faveur officielle, et dont le débit a été énorme, déclare qu’il a pour objet « de créer parmi ses lecteurs la persuasion que jamais, dans l’histoire tout entière de l’humanité, rien n’a surgi de plus grand ni de plus beau que la nationalité allemande. » Et, de fait, le groupe d’auteurs bien connus qui collaborent avec le docteur Meyer ne cesse pas de célébrer sur tous les tons l’excellence incomparable de la pensée, de l’action, et de la vie allemandes.

Même dans des circonstances normales, une thèse de ce genre aurait chance de provoquer maintes protestations. Et aussi, n’est-il pas étonnant que, dans les conditions présentes, l’effort de l’Allemagne à proclamer sa prééminence ait donné lieu à une tempête d’indignation et de railleries. Si fort est le ressentiment actuel de nos compatriotes que l’inanité des prétentions germaniques est devenue un thème populaire dans nos journaux, et que même des noms honorés ont bien voulu prêter l’appui de leur