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professionnels que l’on nous fait voir s’acharnant contre ces Russes dans chacune des villes où les promène le caprice malveillant de leurs geôliers, un nombre infiniment plus grand de « persécuteurs » agissent sans aucune idée d’intérêt égoïste : simplement, ils ne peuvent s’empêcher de considérer les étrangers qui leur sont « tombés sous la main » comme autant d’ « espions » ou de « lanceurs de bombes » acharnés à leur perte ; et pas un moment, non plus, ils ne peuvent oublier que ces étrangers appartiennent à la race détestable qui, malgré tous les pathétiques efforts de l’empereur Guillaume en faveur du maintien de la paix, vient d’obliger méchamment l’Allemagne à tirer son épée. De telle sorte qu’ils haïraient les Russes et tâcheraient en toute manière à les « châtier, » si même ils les tenaient pour des êtres doués de « culture, » pour des échantillons de l’ « humanité » authentique à laquelle appartiennent incontestablement suivant eux, en dehors de leur propre race, des ennemis tels que les Français, les Anglais, ou les Belges. Mais qui donc parmi eux, quel Allemand digne de ce nom manquerait à partager le mépris séculaire de toute âme germanique vis-à-vis du « Slave ? » Est-ce que déjà leurs pères ne les ont pas instruits à confondre les deux notions de « Slave » et de « barbare ? » Ou plutôt, est-ce que tout Allemand n’a point coutume d’exclure absolument ces « barbares slaves » de sa conception de l’ « humanité ? » Jamais un Polonais ou un Russe n’a été, pour les Allemands, autre chose qu’une « bête » plus ou moins déguisée sous des apparences humaines. Si bien que maintenant, lorsque l’on a persuadé aux Allemands que la patrie de ces créatures inférieures s’est rendue coupable d’une lâche agression à leur endroit, et qu’en outre ils ont cru reconnaître, dans chacune de ses créatures, une source possible de dangers pour leur sécurité nationale, nous comprenons sans peine qu’ils ne se soient pas embarrassés de scrupules pour procéder de leur mieux à l’ « extermination » de leurs hôtes russes, exactement comme s’il s’était agi pour eux d’exterminer une troupe malfaisante de rats, de vipères, ou de chiens enragés.

Mais encore sied-il d’ajouter qu’excitations et encouragemens leur sont venus en foule dès le premier jour, descendant sur eux des sources les plus hautes, à commencer par un certain balcon du vieux Palais Royal de Berlin.


Le discours prononcé par l’empereur Guillaume, du haut d’un balcon