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nourriture. Dans la soirée du lendemain, cependant, on a bien voulu le remettre en liberté, moyennant sa promesse de partir aussitôt pour Berlin. Là, pendant qu’il s’entretenait avec un employé de la légation de Saxe, le ministre de Saxe en personne s’est approché, et, du ton le plus grossier, lui a demandé ce qu’il désirait. Et comme le sénateur russe répondait qu’on lui avait promis, à Leipzig, l’appui de la légation saxonne à Berlin pour lui procurer le moyen de sortir d’Allemagne :

— Comment ? — s’est écrié le diplomate allemand, — vous, notre ennemi, vous osez demander que je fasse quelque chose pour vous ? Après la trahison commise par la Russie en nous déclarant la guerre, je vous trouve bien impudent d’oser venir solliciter mon appui !

Il n’a pas fallu moins qu’un miracle de bonne chance pour permettre enfin à M. de Bellegarde d’atteindre Copenhague. A la gare de Berlin par laquelle il s’en est allé, tous les wagons portaient des inscriptions telles que : « Mort au Russes ! » ou bien : « Tous les Russes sont des espions ! »


IV

Écoutons maintenant le récit de quelques-uns de ces baigneurs russes dont la relation officielle nous dit justement qu’il serait impossible de « faire le compte de toutes les violences et cruautés qu’ils ont eu à subir, sans distinction de rang social, ni d’âge, ni de sexe ! » Par une coïncidence qui n’a d’ailleurs rien d’étonnant, si l’on songe à l’énorme quantité de ces victimes russes de la barbarie allemande, il se trouve que le volume de M. Rezanof nous offre plusieurs descriptions « parallèles » des souffrances d’une seule et même « fournée » de baigneurs s’efforçant de sortir d’Allemagne. C’est ainsi que, par exemple, un professeur de la Faculté de Médecine de Petrograd, M. Souslof, et la femme d’un propriétaire campagnard, Mme Danilof, ont raconté presque simultanément les principales étapes du long chemin qu’ils ont fait ensemble, peut-être dans les mêmes wagons, — mais à leur insu et sans se connaître l’un l’autre, — entre deux frontières de l’empire allemand. Leurs deux narrations concordent de tous points, et nous sont encore confirmées par d’autres témoignages de compatriotes qui ont ou à partager avec eux telle ou telle des