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matelas que le dur pavé du préau. Il y a là une jeune femme qui vient de subir une opération : son mari demande en vain que l’on daigne l’autoriser à se coucher dans une des cellules. Lorsque le convoi se remet en marche, la jeune femme est hors d’état de l’accompagner. « J’ignore ce qu’elle est devenue, — nous dit un médecin qui faisait partie du convoi, — mais je crains bien qu’il ne lui ait pas été donné de revoir la Russie ! »

Cette faveur a été accordée, il est vrai, à une autre malade récemment opérée, Mme Tougane, femme d’un chambellan du Tsar : mais l’infortunée n’a guère eu le temps de s’en réjouir. Dans la prison de Breslau où on l’a gardée pendant trois jours, ses geôliers ont eu la cruauté, à peine croyable, de lui enlever les bandages qui recouvraient la plaie béante de l’opération. Après quoi on l’a mise dans un wagon de bestiaux qui l’a conduite jusqu’à la frontière : mais là, comme la pauvre femme s’était évanouie en chemin, on l’a simplement jetée au bas d’un talus, où des douaniers russes l’ont retrouvée, quelques heures plus tard. Mme Tougane est morte à Petrograd, dès le lendemain de son arrivée : sa plaie s’était envenimée, et avait amené une fièvre putride. Toutes les circonstances de son « martyre » ont pu être reconstituées par le gouvernement russe avec une parfaite exactitude documentaire.

Quant aux cas de folie résultant, chez d’inoffensifs touristes, d’un excès de fatigues, ou de souffrances, ou d’effroi, ceux-là sont proprement innombrables ; et il n’y a guère en Russie d’asile d’aliénés un peu considérable qui, pendant les mois d’août et de septembre, n’ait eu à recueillir un ou plusieurs de ces martyrs de la « culture » allemande. Voici notamment, parmi ceux que nous présente M. Rezanof, un petit garçon de douze ans, Kurt Simon, enfermé depuis le mois d’août dans l’asile des Saints Pierre et Paul, à Petrograd. Cet enfant, dont tout le corps était déchiré, ne cesse point de crier pitoyablement : « Assez ! Ne me battez plus ! Est-ce que l’on va encore me battre ? » Et le plus curieux est que le petit Simon, fils d’un professeur de Riga, et de religion luthérienne, clame ces phrases affolées en langue allemande. Mais ni son origine, ni son âge ne l’ont empêché de servir d’objet aux « représailles » patriotiques des gendarmes prussiens de Kœnigsberg. Un ouvrier, qui s’est chargé