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l’existence même de l’âme, et, comme l’âme est pensée, rien que pensée, cette prise est une intuition immédiate et première, une illumination, une lumière naturelle. Cette intuition aboutit à un certain nombre de données qui sont le fond de toutes les religions et de toutes les philosophies, même si la philosophie s’applique à les rejeter. Tant que ces données restent à la phase purement intuitive, elles sont inexprimables, et par conséquent inutilisables ; mais elles tendent à sortir de cet état naissant, à trouver leur expression. Elles émergent donc dans la zone, qu’éclaire l’intelligence, où elles sont aussitôt saisies par le langage qui les fixe dans des mots auxquels sont attachées des images et des idées. Il est d’ailleurs entendu que, dans ce passage, les émois intuitifs perdent une grande partie de leur fraîcheur et de leur richesse originales. Et on devine aussi que les mots, les images, les idées qui représentent ces émois intuitifs varieront infiniment, selon les contingences d’hérédité, de milieu et de culture où chacun de nous se trouve placé.

De toutes les données, une des plus importantes, en qui d’ailleurs se réunissent les autres, est que notre pensée n’est pas solitaire dans l’univers, qu’une autre pensée plus grande l’enveloppe, la soutient, la protège et l’entraîne. Cette donnée, par son origine dans l’intuition première liée à l’existence même de l’âme, est fonction de la vie. Or, la vie est-elle autre chose que tendance à persévérer dans l’être, orgueil, volonté de vivre, et, en dernière analyse, optimisme ? Donc, cette donnée que, hors de notre pensée, il y a des points d’appui pour elle, est fonction de l’optimisme vital, et de ceci, comme on disait autrefois, il y a grande conséquence. L’optimisme ne se séparera plus de cette donnée et en tirera un merveilleux parti. C’est son trésor réservé, son trésor de guerre : il y puise les forces génératrices de l’acte extraordinaire, de l’acte sublime, et l’acte s’accompagnera de paroles et de gestes extrêmement divers, selon la forme que la donnée intuitive et confuse a prise dans l’intelligence, au hasard d’une foule de circonstances.

Charles Péguy se récite les beaux vers qu’il a écrits sur la mort désirable où l’on tombe la face contre la terre natale, embrassée d’une suprême étreinte ; Ernest Psichari, les maîtresses pages de son livre : l’Appel des armes ; le commandant de Robien va volontairement à la mort, offrant sa vie en holocauste pour la France ; Ernest Goyet, le sous-préfet d’Orange,