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sans cesse sur la nécessité de mon départ. Le médecin (le général) avait dit à sa femme : « Il faut qu’elle parte à l’instant. » Et, depuis, trois heures s’étaient écoulées ! Sabine était sur les épines ; moi, je réfléchissais à ce que j’avais à faire ; il était quatre heures, il n’y avait plus qu’une heure de jour, et il fallait bien du guignon pour que ce fût précisément celle où l’on penserait à moi. Une fois la nuit venue, j’étais tranquille jusqu’au lendemain matin, ces sortes d’expédition ne se faisant que rarement passé le coucher du soleil. La seule chose qui me peinait était l’agitation avec laquelle la pauvre Sabine comptait les minutes, mais il s’agissait bien de cela ! j’avais encore beaucoup à faire ; j’étais venue avec le projet de voir deux femmes, et je n’en avais vu qu’une. Lorsque la nuit fut tombée, Sabine écrivit un billet à la seconde, qui arriva bien vite, se doutant qu’il était question de moi. Je la nommerai Jenny, c’est par elle que j’aurai les lettres adressées à Mme Thiébaut dont elle dispose. Elle me connaît si bien qu’elle avait tout compris et qu’elle m’attendait, présumant d’avance ce que je voudrais faire ; elle avait songé à bien des choses que je lui aurais dictées volontiers. Je pouvais parler avec elle à cœur ouvert de ma chère malade (le Prince), dont la situation l’occupe presque autant que les plus dévoués à son sort ; mais elle est bien d’avis qu’il ne faut contrarier en rien le traitement du médecin (le général) et se bien garder d’administrer à son insu des remèdes intempestifs ; que si le danger devenait imminent et si le médecin renonçait à cette évacuation si nécessaire, il serait temps de la faire avaler, mais seulement s’il fallait risquer le tout pour le tout… Je lui ai parlé aussi du désir de Mme Anna d’acheter cette maison. Elle pense que c’est un mauvais placement, il faut penser que, si l’argent restait trop longtemps sans emploi, elle a le grand inconvénient d’être contiguë à la nouvelle prison et d’avoir le mur mitoyen de son jardin, qui est grand, avec la cour de la prison, sur laquelle donnent toutes les fenêtres grillées, ce qui est fort triste. Elle est occupée en ce moment par une maîtresse de pension de demoiselles, chez laquelle Jenny va souvent et qui est toute disposée à recevoir la jeune fille, dont Jenny lui a parlé. On voit des fenêtres la cour des prisons remplie de troupes qui ont des cartouches et l’ordre de tirer à la moindre tentative d’évasion. Des patrouilles parcourent, de cinq minutes en cinq minutes, les rues adjacentes, tous les postés de la ville sont doublés ; les