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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/711

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Un ancien, un antique, avons-nous dit de lui. Mais quel autre, dans les jours où nous sommes, est plus proche et plus digne de nous ! Lequel nous peut et nous doit être plus cher et plus secourable ! Dans un aimable traité de musique à l’usage des enfans, il nous souvient d’avoir lu naguère : « Le Seigneur nous a fait présent du beau chant pour dire des choses vraies et bonnes[1]. » Élevons — très haut — cette maxime, et l’esthétique, ou l’éthos de Gluck, s’y résumera de soi-même, et tout entier. Classique et passionnée à la fois, comme l’œuvre d’un Racine, l’œuvre d’un Gluck, encore plus que l’œuvre d’un Racine, ne respire que les passions nobles. Fût-ce pour avoir écrit Armide, Gluck n’aura point été damné, comme il le craignait, ou comme, avec un peu de coquetterie ou de fanfaronnade, il feignait de le craindre. Jusque dans la musique de sa partition la plus amoureuse, de celle qui répand, au sens initial et magique de ce mot, le « charme » le plus fort, la chair et les sens n’ont aucune part. On n’y respire point l’énervante, fiévreuse atmosphère, dont nous enivre et nous empoisonne un Tristan. Armide ne tend pas non plus, comme un Tristan toujours, et comme le dit l’Allemagne en son jargon, à la négation du vouloir vivre. Loin d’affaiblir notre être et de le dissoudre, la musique de Gluck l’accroît, le règle, et le discipline. Elle ne subordonne et ne sacrifie pas au sentiment, encore moins à la sensation, les droits de l’esprit et de la raison. Par cette maîtrise intellectuelle, Gluck est un de nos classiques, un Français d’autrefois, un de ceux que, pour notre salut, il nous faut redevenir. Et par la grandeur, par l’élévation morale de son art, il est un Français d’aujourd’hui. N’est-il pas, sur la scène, le musicien héroïque entre tous ? Le dévouement, le sacrifice, voilà tout l’idéal, austère et pur, de son œuvre ; en voilà tout l’exemple et tout l’enseignement. C’est le sacrifice d’un regard, d’une étreinte, imposé, pour que l’épouse revive, à l’époux qui vient de l’arracher au trépas. C’est le sacrifice d’Alceste, ou celui d’Iphigénie « en Aulide immolée. » Dans le cœur de Renaud, c’est l’amour de la patrie, vainqueur de moins saintes amours. Enfin Iphigénie en Tauride a pour principale péripétie un sacrifice encore, et non le moins affreux. Ainsi, dans ce noble répertoire, tout nous parle de générosité, de renoncement et de vaillance. Ajoutez à tant de vertus la douleur et la mort, les deux sombres déesses du théâtre de Gluck. Ce théâtre alors vous apparaîtra comme celui qui sied le mieux à la rigueur ainsi qu’à la beauté des jours que nous traversons.

  1. La belle musique, par M. Jean d’Udine.