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plateau dont nous occupions un flanc, et dont les Allemands occupaient l’autre ; cependant, l’avantage de la position était pour nous qui tenions le sommet avec le village.

Derrière la route, étaient nos batteries appuyées à gauche par une batterie lourde qu’en séparait un rideau de pins ; un peu en arrière, par une batterie de Rimailhos. Sur la droite s’élevait la croupe où est bâti un petit village, dominant la Somme, environ à 2 kilomètres à l’Ouest de nos pièces, et, sur la même ligne, un immense parc planté d’arbres gigantesques sous lesquels nous avions dissimulé nos avant-trains et nos échelons. Deux routes qui y aboutissaient, celle de Cappy et celle de Bray, assuraient notre ligne de communication.

Le service des éclaireurs fut, cette fois-ci, régulier et peu fatigant ; en moyenne, chacun de nous marchait un jour et une nuit sur trois.

Les premiers jours, on se battit ferme ; nous tirions beaucoup et toutes les batteries restaient, la nuit, sur leurs emplacemens. Au crépuscule, les avant-trains étaient rapprochés et dissimulés le long d’un petit bois où couchaient les conducteurs.

La première nuit, nous n’avions pour nous abriter que nos couvertures ; les suivantes, nous primes grand soin de nous munir de paille dont il existait une grande quantité de meules, et que nous entassions en botte sur les avant-trains ; en les disposant par couches épaisses sur le sol, nous avions des lits très chauds, abrités du vent par les arbres qui nous environnaient, en somme très confortables, tant que la pluie ne s’en mêla pas, auquel cas nous étions, malgré nos précautions, quelque peu humectés… Les fantassins qui couchaient à côté de nous dans leurs tranchées s’étaient vite aperçus que nous étions des mines de paille fraîche et s’en emparaient régulièrement, aussitôt après notre départ : chaque jour, nous étions obligés de recommencer cette corvée.

Aux pièces, les servans étaient encore mieux que nous : leurs chambres, — abris larges et profonds, bien recouverts de paille et de terre, — étaient très chaudes, et la pluie n’y pénétrait pas.

L’observatoire du commandant était derrière une meule, un peu en arrière de la route : c’était un endroit particulièrement « malsain » que nous dûmes quitter. Les beaux arbres de cette malheureuse route, hachés, troués, cassés, formaient un décor