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il les remerciait de leurs vaillans services, du dévouement et du courage dont ils avaient constamment l’ait preuve ; c’était, pour lui, la plus grande joie qu’il eût souhaitée de mourir à l’ennemi, au milieu de sa chère batterie avec laquelle on avait si bien travaillé, et ses yeux brillaient d’un feu étrange, tandis que ses hommes l’écoutaient, oppressés : « Enfin, dit-il, mes chers amis, vous aurez le grand bonheur que je n’ai fait qu’entrevoir : vous verrez notre pays victorieux ! Je voudrais vous serrer la main à vous tous que j’aimais tant ; que l’un de vous s’approche et me donne la main ; là… c’est pour toute ma batterie… » Tous pleuraient lorsque les brancardiers vinrent le chercher pour le soigner à Suzanne ; il était déjà presque sans connaissance, mais demanda pourquoi l’on ne voulait pas le laisser mourir dans sa batterie… « Vous emportez mon corps, ma vie reste ici ! »

Ce jour-là, — dimanche 4 octobre, — j’étais aux avant-trains lorsqu’on vint nous annoncer la terrible nouvelle de la blessure du capitaine et demander le médecin. Mon cheval était sellé : j’allai au poste de secours chercher une voiture pour le transport, et je l’amenai ainsi presque à la batterie. Une douloureuse stupéfaction s’était emparée de nous tous en apprenant que le capitaine était en danger, et lorsque je le vis tout pâle, les yeux déjà révulsés, son long corps sans force ; je fus pris d’un découragement immense en pensant que personne ne remplacerait un si bon officier ! Il me reconnut et fit un signe des yeux pour me remercier… J’étais bouleversé ! Quelques sous-officiers vinrent le voir ; tous étaient en larmes. Le docteur dit qu’il essaierait une opération si le blessé avait encore assez de forces ; il fallut renoncer à ce dernier espoir, et le capitaine C… mourut sans une plainte, dans la nuit du 5. Ses dernières paroles furent pour remercier les médecins de leurs soins et dire son bonheur de mourir pour la France. Deux jours après, cul lieu son enterrement auquel purent seulement assister quelques sous-officiers ; un ordre du jour du colonel rendit hommage aux qualités supérieures de cet excellent officier… et ce fut tout… Ses hommes ont gardé son souvenir ; ils en parlent souvent avec tant de regrets !

Ces événemens nous firent agir avec encore plus de prudence, si possible, dans l’installation des postes d’observation : notamment, ainsi que je l’ai dit, le commandant changea le