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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/862

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assez satisfait, on le devine, et rejoins dans notre tranchée L… et le lieutenant M… entre lesquels je me place ; nous étions tous équipés en prévision d’un coup dur, nous obligeant à faire de la place aux marmites. Il est environ 17 heures : « Vous avez vu, mon lieutenant, la dernière salve ? Juste le temps de me planquer ! » Le lieutenant allait me répondre, quand un autre sifflement, — « Bon Dieu ! que c’est près ! » — nous fit nous coucher contre terre, ce qui était inutile, la tranchée étant recouverte de branches épaisses avec 40 centimètres de terre bien tassée… mais ces mouvemens instinctifs ne se dominent pas… Bzzz !… Encore un autre, deux autres… une détonation très violente, semblant s’être produite derrière la tranchée, et, en même temps, un coup de bâton très sec, très fort sur mon pied gauche. Je pense : « Ça y est, je suis touché ! Où donc a-t-il éclaté celui-là ? ». — « Dans la maison, dit un fantassin, elle est démolie ! » — Sapristi ! la maison que nous venions de quitter ! « J’en ai, mon lieutenant, au pied ! — Moi aussi, au pied. » En somme, quelques secondes d’émotion et c’est tout. Le lieutenant réclame son képi, égaré on ne sait où… Au bout d’un moment, il sort seul ; je préfère attendre un peu ; mieux vaut être sûr que les zinzins ne tombent plus… Ma jambe est très engourdie, jusqu’aux cuisses ; je ne souffre pas beaucoup… Voyons ! je n’ai plus d’éperon ; le houzeau est troué, la chaussure aussi ; alors, je dois être blessé… Une forte contusion, avais-je cru d’abord, mais je sens que ma chaussure est pleine d’eau, ce doit être du sang. La cheville n’est sans doute pas atteinte, elle fonctionne sans trop de mal… Allons ! cela n’est peut-être pas grand’chose.

Je sors de la tranchée, m’appuyant sur l’épaule d’un camarade ; une autre maison à 50 mètres sert de poste de secours aux territoriaux ; j’y arrive assez facilement. C’est le commandant B… lui-même, qui me fait le premier pansement ; il est très gentil : « Je vais vous arranger cela ; je commence à savoir, vous comprenez ; je l’ai vu faire assez pour mes bras ! » Mon pied saigne beaucoup, et je ne puis plus le poser à terre… Je commence à sentir la douleur. On va être obligé de me porter sur un brancard au second poste de secours, à 500 mètres… J’avoue que, pendant les quelques minutes qu’a duré le parcours, j’avais une crainte terrible que les Allemands ne nous tirassent dessus : je me sentais alors incapable de m’abriter de leurs