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Je ne sais plus de qui est ce joli mot, à propos de l’Itinéraire, qu’en allant chercher des images en Orient, il avait d’abord voulu y laisser la sienne. De même pour l’Italie : son rêve était qu’aux noms de Virgile, de Dante, du Tasse et de Byron, on ajoutât désormais le sien. Ayant- trouvé dans la campagne romaine une réelle correspondance avec sa tristesse, il créa un magnifique thème d’où il tira d’incomparables variations : nous avons vu combien il tenait à s’en assurer le monopole.

Toute sa vie, il prépara la renommée qu’il laisserait après lui ; rien ne l’indique mieux que le choix du Grand-Bé pour sa tombe. Il pensait à lui autant qu’à Napoléon lorsqu’il écrivait : « Ce n’est pas tout de naître pour un grand homme : il faut mourir. » A chaque page, perce le souci de survivre dans l’admiration de la foule. Avec quelle envie, il note que le nom de Shakspeare est lié à celui de Vérone ! Lier le sien à celui de Rome, quelle gloire impérissable ! La ville éternelle et le Génie du Christianisme… Peut-être eut-il un doute sur l’avenir, à Venise, en constatant, si peu d’années après la mort de Byron, que, dans la ville même remplie jadis du fracas de sa renommée, il n’était pas plus question de lui que d’un pauvre pécheur des lagunes…

Au cours de son premier séjour en Italie, visitant la villa Adriana, Chateaubriand avait raillé les voyageurs qui inscrivent leur nom sur les murs : « Ils ont espéré prolonger leur existence en attachant à des lieux célèbres un souvenir de leur passage ; ils se sont trompés. Tandis que je m’efforçais de lire un de ces noms, nouvellement crayonné et que je croyais reconnaître, un oiseau s’est envolé d’une touffe de lierre ; il a fait tomber quelques gouttes de la pluie passée ; le nom a disparu. » Au fond, Chateaubriand voulut-il autre chose qu’attacher à des lieux célèbres le souvenir de son passage ? Mais le temps effacera difficilement les magnifiques descriptions qu’il a gravées sur le plus pur métal. Tant que la langue française fera les délices des hommes, il ne sera pas possible de publier un recueil des plus belles pages inspirées par Rome, sans que la place d’honneur lui soit réservée.


GABRIEL FAURE.