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« Mon beou pichoun !…

« Elle garde soigneusement les lettres de mon frère, car si un malheur venait à lui arriver, elle aurait toujours un souvenir. »

Arrive octobre ; la rentrée des classes a lieu : « Nous retrouvons nos camarades ; nous examinons les nouveaux ; nous nous entretenons tous de la guerre. Nous sommes contens : car, depuis la bataille de la Marne, les Allemands ont été repoussés loin de Paris… »

Cependant, la cloche sonne, les écoliers se mettent en rang, gagnent leurs salles. Le professeur monte en chaire :

« Il nous dit que la classe s’ouvrait au milieu de graves événemens, que bientôt se lèverait une aube de lumière et de victoire. En quelques mots il nous retraça l’héroïsme du peuple belge qui s’est levé pour sauvegarder son honneur ; il nous dit les prodiges de valeur qu’accomplissent journellement nos valeureux soldats. Enfin, il ajouta qu’une armée qui commet des forfaits ne se déshonore pas seulement elle-même ; mais, à tout jamais, déshonore son pays. »

« Nous, dit une petite fille, à l’école, cette année, nous ne chantons pas et nous apprenons des poésies patriotiques… Les autres années, nous avions deux leçons de couture. Le mardi, on faisait les coutures d’utilité qui sont les œillets, les boutonnières, les reprises, les coutures rabattues et le vendredi, les coutures d’agrément, la dentelle, la broderie ; mais, maintenant le mardi et le vendredi, on fait la même chose : des passe-montagne, des cache-nez, des plastrons, des mitaines pour les soldats. Ces choses en laine font des vêtemens chauds et, en les faisant, je suis contente de penser que nos soldats n’auront plus si froid. »

Ecoutez, maintenant, le joli son que rend l’âme de ce bambin de douze ans :

« C’est loin du théâtre de la guerre ; mais je n’ai pas besoin d’entendre le bruit du canon pour que mon cœur de jeune Français s’intéresse à ce qui se passe dans le Nord et dans l’Est de ma chère patrie. Je lis avec avidité les journaux et je suis heureux quand j’apprends que les Allemands ont battu en retraite ; je voudrais déjà les savoir complètement vaincus… Deux de mes frères sont partis se battre dès les premiers jours de la mobilisation. Hélas ! celui que je préférais est mort. Il n’était pas des plus robustes ; il passait toutes les nuits dans les