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lui-même possède. Le lendemain, il revient suivi d’une cinquantaine de moutards de son âge.

Où loger cette marmaille ? Dans la salle des filles ? Impossible. Non seulement, la place manque, mais le règlement s’y oppose. L’institutrice case ces nouveaux pupilles dans une pièce voisine et, comme il n’y a pas de maîtresse pour s’occuper d’eux, elle les surveille en faisant la classe aux fillettes, par la porte laissée ouverte :

— Pas une fois, m’a-t-elle dit, je n’ai eu une observation à leur adresser. Ils étaient si heureux qu’on voulût bien d’eux !

Feuilletons les souvenirs de ces enfans trop graves et qui ne savent plus jouer :

« .. Le 1er août, à cinq heures du soir, nous moissonnions encore au lieu-dit : « Moulin des Orles, à Osly-Courtil, près la rivière d’Aisne. Voilà que nous entendons sonner le tocsin ; nous quittons notre travail et nous revenons à notre village, Osly-Courtil. Voilà que nous voyons presque tous les habitans, sur la place publique, qui pleurent ; aussitôt, nous avons deviné que la guerre était déclarée. Le lendemain matin, une automobile, venant de la sous-préfecture, passe dans le village, donnant des affiches, disant que la mobilisation n’était pas la guerre : cela nous remit un peu de courage… »

Cependant les hommes partent :

« Comment faire pour achever la moisson ? les femmes, les vieillards, les enfans travaillent pour ne pas laisser les récoltes périr… Le travail se faisait moins vite, mais se faisait tout de même… On entendait au loin gronder le canon, mais nous n’y faisions pas attention, nous avions à charrier toutes nos récoltes, puis à faire les labours et les « couvrennes… »

Pourtant les vieux, « les pauvres vieux » qui vivent de souvenirs, répétaient, se lamentant :

— Nous avons déjà vu les Prussiens en 70 ; nous les reverrons en 1914 ; mais personne ne croyait rien de cela… Les journaux disaient : « Les Allemands avancent lentement du côté de La Fère. »

Néanmoins, les anciens avaient raison. Les Allemands approchent :

« Chacun, dans le village, cache ses affaires ; on descend le linge dans la cave ; on enterre ce qu’on a de précieux, dans les jardins… Tout à coup, les mitrailleuses et les fusils allemands