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contre nos ennemis. Toutefois, en se rappelant les crimes accumulés en Belgique et en France, l’un de nos enfans se prend à invectiver les Allemands ; il les accable de termes malsonnans, mais trop mérités. La mollesse et une fade philanthropie, après tant de souffrances, ne seraient-elles pas coupables ? Les épithètes, le petit Français les enfile, à la manière de Rabelais, avec un plaisir évident :

« Têtes carrées, choucroutemans, mangeurs de saucisses, barbares, sauvages, espions, traîtres, voleurs, bandits, bourreaux, Boches, sales Boches, sales Teutons, sales Pruscots !… »

Mais le bambin n’a pas le souffle de l’auteur de Gargantua ; le voilà hors d’haleine avant qu’il ait épuisé son indignation ; il s’en tire en s’écriant :

« Sales ! je ne sais pas comment dire quoi, tellement que vous l’êtes… »

Toutefois, injures ne sont pas raisons ; l’enfant en a l’intuition, et, d’un ton plus calme :

« Les Allemands nous font une guerre à la déloyale. Ils fusillent les hommes, les pauvres enfans au maillot avec leur mère et aussi leur grand-père ; ils achèvent les blessés pour leur voler l’argent qu’ils ont sur eux… Ce sont des brutes qui ont un cœur d’acier, qui se conduisent comme des « malpropres. » Ils pillent toutes les villes ; ils commettent les pires atrocités ; ils ont violé l’héroïque Belgique ; ils vont, avec leurs Zeppelins et leurs taubes, bombarder les villes de l’Angleterre, de la France et de la Belgique ; ils incendient les cathédrales ; ils noient les pauvres gens avec leurs sous-marins, et ils n’ont pas honte de faire tout cela !… »

Selon la ville qu’habitent nos enfans, les spectacles qu’ils ont pu observer depuis la guerre sont bien différens. Pas un, je crois, qui n’ait rencontré un détail intéressant. Laissons parler, par exemple, ce jeune Marseillais :

« Le 2 août a été une journée mémorable. On fit de magnifiques manifestations. On allait au monument des mobiles de 70 ; on y portait des drapeaux et des fleurs, et même des couronnes aux couleurs des Alliés… Lorsque le régiment d’infanterie du 114e a parcouru les rues pour se diriger vers la gare, tout le monde est venu pour l’acclamer. Les soldats ^ avaient un grand enthousiasme. Ils ne cessaient de chanter la Marseillaise ; ils étaient fiers de la chanter, car elle est bien