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me mettait hors de moi ; je suffoquais ; mon père est mort à la guerre, tué par les Allemands, et maintenant, à cause d’eux, maman et moi, nous ne serons plus jamais heureux comme autrefois… »

« A Pau, raconte une fillette, je les vois (les prisonniers) sans cesse de mes fenêtres ; car, près de notre maison, se trouve, à côté du chemin de fer, un grand hangar où sont enfermés deux cents Allemands, et je suis bien contente, en les voyant, de penser qu’au moins ceux-là ne peuvent plus continuer leurs atrocités. »

Pourtant, Geneviève X… reconnaît :

« Ils ont cependant des qualités. Ils travaillent bien ; ils sont ordonnés. Pour pouvoir ranger leur linge et leurs vêtemens, ils se sont fabriqué des casiers avec de vieilles boites de conserves ; ils se sont fait des paillasses en cousant ensemble les enveloppes de leurs colis postaux, et jamais un de ces hommes ne toucherait aux objets de ses voisins… »

L’exemple n’est pas nouveau de ce que nous savions de l’honnêteté, de nos ennemis : le coffre-fort d’un Belge, d’un Français, on l’éventre, on le vide : c’est licite ! La vieille boîte de conserves d’un Allemand, on la respecte : c’est sacré ! N’est-ce pas l’occasion de rappeler cette pensée citée par Joubert : « La barbarie n’est qu’un sentiment faux de la justice ?… »

Mais, revenons aux qualités que Geneviève X… a remarquées chez les prisonniers :

« Ils sont assez dociles ; ils exécutent les ordres que leur donne un adjudant allemand ; ils sont très propres, car, le soir, après leur travail, nous les voyons se laver le torse avec ardeur… »

« Au début de septembre, relate une autre, on leur a fait construire une ligne de tramways pour aller de Pau au champ de courses. Ils ont si bien travaillé que l’entrepreneur leur a donné une paye de 0 fr. 40 par jour, puis une gratification quand le travail a été fini. Tout leur argent, ils l’ont employé à acheter des poules, deux petits bœufs, des cochons ; en deux jours, ils ont tout mangé… Pour la peine d’être si voraces, il aurait fallu qu’ils aient une bonne indigestion : ça leur aurait appris… »

Aucun, malheureusement, n’a eu, la « bonne