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remarquerai-je que, peu muni de préparation scientifique, sinon de culture littéraire, Dumas s’était épris soudain de science et de toutes les sciences, de chimie, de physiologie et aussi de physiognomonie et de cranioscopie. Gall et Lavater étaient parmi ses maîtres. C’est en invoquant leur autorité qu’il s’appliquait à résoudre, — scientifiquement, — diverses questions morales et sociales, au lieu de s’en remettre tout simplement à son bon sens qui était réel, à sa sensibilité qui était passionnée et à son imagination qui était la hardiesse même.

Dans de telles dispositions, il était bien impossible qu’il assistât en témoin silencieux à la terrible convulsion qui mettait en danger l’existence même de la France. En décembre 1870, il publiait la Nouvelle lettrée de Junius à son ami A. D. sur les affaires du jour. Il s’y livrait, sur le caractère de Bismarck d’après sa photographie, une étude où on lit : « Il a, au fond, le culte exalté, presque virginal, du beau, du bon, du juste : il a la douceur, la bienveillance, la vénération, et (qui le croirait chez nous ? ) la bonne foi. » Est-ce tout, et en avons-nous fini avec rémunération de tant de vertus attendrissantes ? « Toute sa vie, M. de Bismarck a dû rêver une certaine femme, faut-il dire le mot ? une certaine vierge, car il a l’adoration intérieure de tout ce qui est intact et immaculé… Ce qui dominait primitivement en cet homme singulier, c’était le besoin d’aimer et d’être aimé. » C’est de la divagation pure… Après quoi, oubliant Gall et Lavater et redevenu lui-même, Dumas expose, notamment sur le caractère français, les vues les plus judicieuses. Au risque de passer pour clérical, — mais le mot était-il déjà inventé ? — il constate que le peuple français est « non seulement le plus chrétien, mais le plus catholique qui soit. » Il donne de nos défaites cette explication excellente : c’est que nous avions cessé de croire à la guerre. Dans ces momens de catastrophe nationale, on cherche où l’on peut des consolations telles quelles. Dumas ne se console certes pas des malheurs de son pays ; il espère du moins qu’ils ne nous auront pas été inutiles. Peut-être étaient-ils la condition de notre relèvement moral, le prix dont nous devions payer la liberté politique et généralement tous les bienfaits que ne manquerait pas d’apporter avec elle la République : on ne l’avait encore vue que sous l’Empire où elle était si belle ! Entre autres leçons, la guerre allemande nous donnera la plus profitable de toutes : elle nous apprendra la haine des Allemands, « cette haine implacable qui fait partie du sang, des os, de l’âme, du pain que l’on mange, de l’air qu’on respire, et que tout alimente et renouvelle. Ah ! comme nous allons vous haïr ! » A tout le moins nous ne ferons pas de nos