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recouvrait la volonté que lorsqu’un incident l’obligeait à faire acte de souverain. Il disait alors qu’il était responsable du maintien de la paix et qu’il devait en toutes choses jouer un rôle de modérateur ; il y tenait parce qu’il voulait mourir tranquille.

D’autre part, il résistait aux conseils qui lui étaient donnés pour le déterminer à changer ses habitudes. Autant qu’il le pouvait, il voyageait, chassait, se montrait dans les rues de Berlin. Malgré tout cependant, il semblait vivre d’une vie mécanique et végétative ; on eût dit à certaines heures que l’âge et la maladie avaient émoussé ses sentimens. Peut-être son existence se prolongerait-elle encore ; mais la mort le menaçait incessamment, et sa fin pouvait être subite. Il serait regretté par les divers personnages dont il s’était entouré et qu’il honorait de son amitié. Mais tous ou presque tous avaient à se plaindre du despotisme de Bismarck et ils se résignaient par avance à la disparition de leur vieux maître dans l’espoir que sa mort mettrait fin au pouvoir du dictateur.

Leurs espérances ne se manifestaient encore qu’avec timidité, d’abord parce que Bismarck régnait toujours et aussi parce que l’incertitude était grande quant au point de savoir quel serait le successeur de Guillaume Ier. Sans doute, la couronne devait passer sur la tête de son fils. Mais ce malheureux prince était physiquement tombé si bas que les médecins, convaincus de l’imminence de sa mort, l’avaient envoyé à San Remo d’où sans doute il ne reviendrait pas vivant. La question qui se posait était donc celle-ci : le père succomberait-il avant le fils ou le fils avant le père ? Dans le premier cas, le nouvel Empereur se nommerait Frédéric III ; mais son règne serait trop court pour être utile à l’Allemagne et, comme le disait Bismarck, ce ne serait qu’un interrègne. Dans le second cas, l’Empereur se nommerait Guillaume II. Mais l’Allemagne aurait-elle à se louer de son avènement prématuré ? Quelle était sa valeur morale ? Jusque-là il ne s’était révélé que par beaucoup d’agitation, un besoin impérieux déjouer un rôle, des démarches bruyantes et souvent imprudentes qui trahissaient le désir de se rendre populaire dans le pays et dans l’armée. Sa grand’mère l’impératrice Augusta lui reprochait de se mettre toujours en avant comme si son grand-père et son père étaient morts, ce qui trahissait un excès d’ambition.