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Courgivault par l’ennemi. Les balles leur bourdonnent aux oreilles, leur sifflent aux oreilles. Il faut gagner du champ, sauver sa vie et s’acquitter de sa mission jusqu’au bout. Un cheval tombe. Le cavalier se relève, un peu étourdi. Le brigadier Madelaine, le visage éraflé d’une balle, saigne : et ce n’est rien. Les tirailleurs de Courgivault continuent, leur musique. Prestement, assembler la petite troupe, consoler Lemaître qui pleure son cheval, et achever la bête qui geint, faire trotter les dévot cavaliers démontés, lourd-bottés, examiner encore le mouvement des tirailleurs gris devant le village, évaluer leur nombre, esquiver leur tir… L’un des chasseurs, Wattrelot, file et porte au colonel un billet du lieutenant : le renseignement. Les minutes passent. Le lieutenant, son renseignement parti, ne se ménage guère ; les balles qui bourdonnent et sifflent ne le dérangent pas de sa besogne. Il donne le coup de grâce au cheval qui souffre ; même, il lui accorde quelques mots d’oraison funèbre et lui promet le paradis des braves chevaux. Et ensuite, les tirailleurs du village se taisent. Puis un peloton de chasseurs d’Afrique se montre. Au même instant, une détonation retentit. Un obus éclate au pied des meules où les fantassins prussiens se cachent : c’est une de nos batteries qui déjà règle son tir sur Courgivault… « Mon renseignement est arrivé. La bataille de la Marne est commencée. »

Courgivault fut pris, enlevé très vite, perdu, repris à la baïonnette. Et, le soir, quel soir, après cette journée, la première journée victorieuse !…

L’art de M. Marcel Dupont, — je crains que mon résumé ne le gâte, — le voici justement : on ne peut résumer l’un de ses chapitres, tant il est habile à dessiner en peu de traits toute la scène, à raconter vite et serré, à ne laisser entre les détails principaux que l’espace qu’il faut pour que l’air y circule. Cette concision si parfaite, et qui n’entasse rien, ne néglige rien non plus. Et l’on n’y sent pas l’effort. Tant d’art, et avec tant de naturel ! délicieuse réussite. Et l’art n’empêche pas l’émotion ; je ne dis pas qu’il la seconde : il lui est docile. Cet officier de légère est avec son art comme un cavalier avec son cheval. La bête est vive ; le cavalier la mène où il veut. D’ailleurs, il ne lui fait point exécuter des tours singuliers, accomplir des exploits de manège : il la menait à la guerre. Elle l’a bien porté, docile et alerte, par tous les chemins, et fût-ce par les sentiers difficiles, forte dans la fatigue et allègre, gaie aux matins radieux, toujours prompte.


Dès la victoire de la Marne, commence la poursuite. Nos soldats,