Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bataille. Un nouvel essai d’attaque générale échoue encore le matin du 28. Alors, pendant tout le jour, de Nieuport à Dixmude, l’infanterie disparaît, l’artillerie seule travaille. De la mer au Vrye Bosch, — la Forêt libre aujourd’hui violée et saccagée, — une formidable rangée de canons lourds aboie, rugit, gronde. Des tonnes de fer et de cuivre sont déversées sur notre front, où les soldats, accroupis dans la tranchée, ragent de ne pouvoir riposter, et rient, sous cette averse surhumaine, de vivre encore. Mais le remblai fait de billes de bois, de rails, de gazons et de cendres coagulées, résiste comme un rempart. Devant lui, derrière lui la terre bouleversée jaillit vers le ciel en mottes et en miettes, comme si le sol, secoué par une force trépidante, s’ouvrait à chaque instant en nouveaux cratères. Le champ de bataille est un vaste désert dont la terre tremble et se soulève. Pas un groupe humain, pas une ombre qui se meuve. Seuls, le long du canal de Furnes, quelques ouvriers, accompagnés d’un officier d’état-major, se glissent entre les obus vers les écluses de Nieuport.

Le jour où fut forcée la boucle de Tervaete, le commandant Nuytens a songé tout de suite au moyen suprême de salut : l’inondation. Défense classique dans nos pays de plaines basses et d’eaux lentes. Et sans tarder, il s’est mis au travail. En effet, si l’idée est simple, la réalisation n’en est pas facile. Il ne faut pas, sous prétexte de noyer l’armée allemande, noyer en même temps nos derniers cantons, Furnes et le pays des Moères. Il ne faut pas déchaîner un élément dont on ne serait plus le maître. D’autre part, notre système d’écoulement des eaux est si délicat, si compliqué, si parfait et si fragile qu’il ne faut pas témérairement y toucher. Pour parer au premier danger, il s’agit de boucher tous les caniveaux et toutes les brèches du remblai du chemin de fer, afin qu’il devienne, comme l’Yser lui-même, qui coule, en son cours inférieur, au-dessus des prairies dans de hautes berges de terre, une digue imperméable et solide. Pour éviter le second péril, il faut immédiatement réaliser ce prodige : changer le régime des canaux. Tous en effet convergent vers le Beverdyck situé dans la zone qu’il faut isoler et noyer, et, si on ne leur assure pas un débouché nouveau, ils vont insensiblement gonfler et inonder nos cantonnemens, nos lieux de repos, nos derniers villages. En trois jours, sans que l’ennemi ait pu le soupçonner, les travaux ont été faits, les dispositions