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la défaite. Ce n’est pas un médiocre sentiment qui perpétra cette implacable représaille. L’impopularité d’Emile Ollivier eut quelque chose de hasardeux et de sacré.

Elle lui a été un affreux supplice, et qu’il a enduré avec plus de fierté morale que de patience naturelle. Car il n’était pas, de nature, l’homme d’une tragique destinée. Vif, gai, merveilleusement doué pour la lutte, épris de ses idées, et de leur succès comme du sien, virtuose applaudi des grands jours parlementaires, content de réussites telles que le paradoxe de transformer en un régime de liberté l’Empire autoritaire et d’être, sans mortel accident de doctrines, le ministre de Napoléon III et l’un des rares républicains qu’on ait connus, il avait accompli des prouesses avec facilité. Sensible à toutes innovations et trouvailles de l’esprit, dans sa jeunesse ; admirateur de Proudhon, socialiste, comme beaucoup de napoléoniens qui se cherchent ; Provençal, et que la Provence fêtait de cette double aubade : « Vive Emile Ollivier ! vive la République ! » une sagesse attentive le prit de bonne heure et le conduisit par les meilleurs chemins. Sans heurt et sans secousse, il était allé à l’Empire : ou plutôt, il amena l’Empire à lui. Il avait l’intelligence agile et prime-sautière. En outre, il savait travailler, lire, méditer et il portait allègrement l’érudition d’un grand lettré. Les arts le divertissaient et il employait la philosophie à l’ornement de ses convictions spiritualistes. Homme d’Etat, il eut des plaisirs de poète. Puis, il fut, dans son pays, comme un exilé.

Plus que le silence, lui coûta le motif du silence : l’hostilité qui ne désarmait pas, qu’il n’acceptait pas, contre laquelle il se débat dans les dix-sept volumes de son histoire. Il n’avait point une âme résignée. Au surplus, comment aurait-il consenti à passer pour l’homme qui a perdu la France ? Il se révolte : et sa révolte commande le respect. D’ailleurs, dans son premier volume, à la date du 22 mars 1894, et quand depuis plus de vingt ans il subit son martyre, il se défend de discuter avec la calomnie : « Je ne viens pas présenter à l’histoire le plaidoyer personnel que je n’ai pas cru devoir à ceux au milieu desquels j’ai vécu. » Il sait que, si nos généraux avaient été vainqueurs, en 1870, la victoire ne serait pas la sienne : et pourtant il ferait figure de grand homme. Nos généraux n’ont pas été vainqueurs ; il n’est pour rien dans leur déconvenue : on le honnit. Ex eventa famam : le succès ! Partout et à toutes