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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/383

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décore parfois du nom de « batailles terribles » (furchtbare Schlachlen), où le Champagne, le vin rouge et les liqueurs forment un mélange supportable seulement pour un estomac allemand, et dont les occasions peuvent paraître parfois singulièrement déplacées. C’est ainsi que, la nuit de la reprise sanglante d’Orléans, après de durs combats de quatre jours, les officiers bavarois, entrés en ville à une heure du matin, se précipitent à l’hôtel Saint-Aignan, qu’ils ont appris à connaître pendant la première occupation, réveillent le sommelier endormi, vident une infinité de bouteilles de Champagne et se livrent à un « sabbat de sorcières » dont ils ne sortent qu’au petit jour, dans un état d’ivresse complète : pendant ce temps, leurs troupes cherchent un gîte et leurs blessés couvrent par milliers les plaines neigeuses de la Beauce[1]. Le plus surprenant dans le récit laissé par l’un des auteurs de ces agapes intempestives, ce n’est pas qu’il s’y soit laissé entraîner, c’est qu’il ait éprouvé le besoin de s’en vanter.

A défaut de la sobriété, au moins les Allemands se font-ils gloire d’une continence qu’ils se plaisent à opposer à la dissolution des mœurs latines. C’est peut-être la raison pour laquelle la plupart d’entre eux gardent sur ce sujet une discrétion qu’il convient d’imiter et qui fait paraître d’autant plus déplaisantes chez certains (notamment Tanera) d’assez lourdes allusions à de faciles conquêtes, ou même à des avances féminines repoussées. A voir toutefois avec quelle facilité leurs passions se débrident ; lorsqu’ils en trouvent l’occasion, l’on peut se demander s’ils avaient pour les refréner d’autre raison que l’impossibilité de les satisfaire. C’est ce que tendraient à prouver les scènes scandaleuses qui se déroulent au Mans pendant l’occupation prussienne. Un industriel sans scrupules y a installé un café-concert, dont le personnel féminin se recrute dans un milieu facile à deviner, et dont la garnison forme l’unique clientèle. Kretschmann y va faire un tour, poussé par la curiosité, et il en revient chassé par le dégoût : « Les soldats, écrit-il à sa femme, représentaient la partie convenable du public, et les officiers, celle qui ne l’était pas. J’en ai vu un, du 6e hussards, dont les fiançailles venaient d’aboutir assez laborieusement avant la campagne, et qui se comportait d’une façon si malséante que j’en éprouvais de la

  1. Bauriedel, p. 120 ; cf. p. 66.