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Français, impressionnante même pour un Allemand. Avant la guerre, la revendication de l’Alsace-Lorraine n’apparaissait comme un devoir national pour personne, et le nom même n’en était rappelé que par la vieille chanson de route fredonnée encore dans les régimens : Oh, Strassburg, wunderschüne Stadt[1] ! Plus tard, quand les armées passent la frontière, au début des hostilités, la première chose qui frappe leurs chefs, c’est le contraste évident entre le langage et les sentimens des habitans de l’Alsace et de la Lorraine allemandes. Busch note leur « mine sombre, » von Müller constate, non sans mélancolie, qu’ils sont complètement francisés, et Wilmowski, dont les lettres reflètent les impressions du grand quartier général, déclare tout net que « plus on s’éloigne du Rhin, plus disparait l’illusion que la province riveraine est encore allemande, parce qu’elle l’a déjà été autrefois[2]. » Ces réflexions sont datées de Nomény, près de cette future frontière, dont, quelques jours plus tard (15 septembre), Bismarck dessinera sommairement le tracé sur une carte murale trouvée dans le château du sénateur Larabit, à Buzancy[3]. Pendant la campagne, alors que les premiers bruits de paix commencent à circuler dans l’armée, Krestchmann avoue, avec un sens prophétique assez rare chez un gallophobe, n’être point partisan de vastes annexions, car, dit-il, « à quoi bon recommencer l’expérience, déjà faite si souvent, qu’il n’est pas avantageux de forcer à devenir Allemands des gens qui sont Français[4] ? » — Après l’armistice enfin, quand les troupes victorieuses traversent de nouveau, pour rentrer dans leurs foyers, les provinces qui vont être annexées à l’Allemagne, elles y trouvent les sentimens d’attachement à la France plus vivaces que jamais, et comme exaspérés par la perspective d’une prochaine séparation. Fausel, conduit par son billet de logement chez le médecin de Rothau, entend la femme de son hôte lui adresser une harangue enflammée sur la fidélité

  1. Von Pfeil, p. 7.
  2. Busch, p. 17 ; von Mûller, p. 145 ; Wilmowski, p. 22.
  3. L’anecdote est racontée par Wilmowski, p. 52. Il serait curieux de savoir ce qu’est devenue cette carte, qui représente, avec un autographe de Bismarck, le premier témoignage tangible des intentions de l’Allemagne à l’égard de l’Alsace-Lorraine. D’après le colonel Laussédat {La Délimitation de la frontière franco-allemande), la fameuse « carte au liséré vert » ne fut en effet tracée qu’à la fin d’octobre, après la capitulation de Metz.
  4. Kretschmann, p. 190.