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Car le même orgueil impérial, s’emparant de tous les Hambourgeois, les avait dégoûtés des humbles maisons, des modestes façades et de cette ville de briques où 260 000 habitans vivaient d’économie avant l’Empire. Il fallait y loger en 1910 un million d’Allemands impériaux. Sur mer, l’Angleterre était le modèle envié ; sur terre, ce fut l’Amérique, New-York et Chicago. Les Hambourgeois et, à leur suite, tous les parvenus des autres villes impériales résolurent de planter sur le vieux sol pauvre de leur Germanie les mêmes étages de marbre, de granit et de fer qui s’étaient levés, comme une moisson brusquement, mais naturellement grandie, sur les riches et neuves terres transatlantiques. Et l’on voulut les aligner en mêmes files interminables le long des mêmes avenues spacieuses et ensoleillées, les aérer des mêmes grands parcs, les décorer des mêmes arbres et des mêmes fleurs, les équiper des mêmes chaufferies, sonneries, machineries élévatoires, canalisations d’eaux froide et chaude, conduites de lumière, de force et de parole, et en multiplier sans cesse la longueur et la hauteur, et les réunir d’une ville à l’autre par d’autres files de villas suburbaines, pourvues du même confort mécanique et végétal, avec la même apparence, sinon la même réalité de luxe et de richesse.

L’Allemagne a toujours été le pays de l’imitation : depuis qu’elle est entrée dans le courant de la civilisation universelle, elle a passé les siècles à copier la civilisation du jour, avec cette tare des copistes qui ne voient d’originalité que dans l’agrandissement ou la réduction et qui ne mettent leur orgueil que dans la multiplication ou la surcharge.

Durant le Moyen Age, pour imiter la France, elle s’était couverte de monastères, de cathédrales et de burgs, et elle avait tant et tant multiplié la mode française de l’ogive que l’ignorance des siècles suivans avait appelé « gothique » cette invention de l’Ile-de-France. La Renaissance l’avait ensuite, à la mode italienne, puis flamande, hollandaise et anglaise, chargée de maisons bourgeoises et de palais municipaux : elle était devenue comme une place de Rathaus. Puis, revenant à l’imitation de la France, elle n’avait vécu durant deux ou trois siècles que pour donner à chacun de ses grands et petits princes quelque Versailles, mais de plus vastes dimensions : elle n’était plus qu’une façon de parc princier, où les peuples asservis et