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en attentions délicates aussi bien à l’égard du jeune couple qu’à celui du reste de ses hôtes anglais. Et c’est lui encore qui, le matin suivant, s’en vient, avec une sollicitude discrètement paternelle, rassurer dans leur cabine ses jeunes cousins, qu’a brusquement réveillés un fort coup de canon. Quoi qu’il puisse arriver, leur dit-il, personne des passagers de l’Indui n’aura rien à craindre : ne sont-ils pas à bord d’un bateau américain, et lui-même, le capitaine Lupeta, ne possède-t-il pas des papiers bien en règle qui l’attestent citoyen des États-Unis ?

Sur le pont de la goélette, où Harrington et sa femme se sont empressés de remonter, les autres passagers considèrent avec stupeur l’approche d’un grand paquebot dont l’aspect ni les allures n’ont rien de militaire, et qui, pourtant, doit sûrement avoir envoyé à l’Indui le coup de canon de tout à l’heure, car nulle autre ombre de bateau ne se laisse apercevoir à l’horizon. Mais l’ex-diplomate Maurice Blake a vite fait de deviner la clef du mystère. « Cette machine-là, docteur, — dit-il à Harrington, — c’est un bateau marchand capable de se transformer, à l’occasion, en un navire de combat ! Ses canons sont cachés à l’arrière. Vous allez voir : elle va, de nouveau, se retourner à notre intention ! Une machine allemande, naturellement : jamais nos paquebots, à nous, ne portent de canons. » Et bientôt, en effet, la « machine » se retourne, découvrant une paire de solides canons dressés à sa poupe, et fait signe à l’Indui d’avoir à s’arrêter. Puis une chaloupe se détache du navire, — dont on a récemment effacé le nom, — et les passagers de l’Indui voient venir à eux un groupe de dix étranges matelots avec un fusil en main et un sabre à la ceinture, sous les ordres d’un chef dont la tête massive semble bien, elle aussi, toute gênée d’avoir dû échanger son casque à pointe habituel contre la casquette blanche d’un officier de bateau marchand. N’importe : l’excellent Lupeta garde toute sa confiance dans l’immunité que lui vaudront ses papiers de citoyen des États-Unis. Les neuf Anglais, moins optimistes, s’efforcent, de leur côté, à se donner l’attitude « détachée » de libres voyageurs américains qui, se rendant de Pago Pago à Honolulu, ne soupçonneraient même pas l’existence d’une guerre.


Sur un mot de Lupeta, deux matelots indigènes préparèrent une passerelle pour les hommes de la chaloupe ; après quoi nous attendîmes, le cœur tremblant, dans un silence de mort. L’officier aborda le premier sur notre goélette, d’un pas rapide et pesant. C’était un petit homme trapu, avec une barbe blonde et un gras visage hargneux au nez épaté. Lupeta s’avança poliment vers lui ; et, au même instant, les six marins qui