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les assemblées locales se sont réunies pour exprimer leurs vœux et en entamer la réalisation. Jamais mouvement n’a été plus spontané ni plus étendu. Toutes les molécules sociales sont entrées en fermentation ; sans s’être donné le mot, elles ont toutes répété le même ; du mot elles sont passées à l’acte et on a vu se dessiner des organismes nouveaux au moyen desquels le pays, soucieux de ses destinées, a résolu de pourvoir directement aux nécessités de l’heure présente. Les bonnes volontés ont été innombrables, ce qui n’a rien d’étonnant, mais ce qui l’est davantage, c’est l’ordre qui a présidé à toutes ces initiatives, l’esprit d’organisation qui s’y est manifesté et les résultats déjà obtenus. On a militarisé un grand nombre d’usines, on en a fait d’autres et, par une improvisation rapide, on a commencé à créer ce matériel de guerre dont l’insuffisance a été la cause des échecs que l’armée russe, après avoir si bien débuté, a tout d’un coup éprouvés en Galicie et en Pologne. L’ancienne administration ayant fait faillite, on s’est mis à l’œuvre pour en créer une nouvelle où l’activité serait plus grande, mieux ordonnée, et où le contrôle ne sera plus une vaine apparence. Un vieux mot latin demande : Quis custodiet custodes ipsos ? Qui gardera les gardes eux-mêmes ? Sous l’ancienne administration russe, on pouvait demander qui contrôlerait les contrôleurs eux-mêmes. Ils seront désormais mieux choisis et auront une autre conscience de leur responsabilité. Alors un grand mal social, dont nous voyons aujourd’hui les conséquences militaires, sera sans doute guéri.

On pourrait croire, d’après ce qui précède, que la Russie est en révolution, mais le mot serait ici mal appliqué, et c’est évolution qu’il faut dire. Sans doute l’administration, la bureaucratie passe un mauvais moment, et la Russie n’est pas le seul pays où elle est plus ou moins malmenée. Ses règles surannées, ses routines obstinées suffisent à la paix, mais non pas à la guerre, et surtout à une guerre qui ressemble si peu à celles d’autrefois. Là est l’explication de la secousse qui s’est produite dans toute la Russie ; mais si elle a ébranlé beaucoup de choses qu’on croyait inébranlables, elle a encore fortifié l’autorité souveraine et la confiance qu’elle inspire. Tout le monde s’est tourné vers l’Empereur. Il n’a pas manqué à ce qu’on attendait de lui. Comprenant la gravité des circonstances et la nécessité d’y pourvoir, sans perdre un moment, avec des moyens nouveaux, bien loin d’enrayer le mouvement, il s’est appliqué à le diriger et en a pris la tête. A côté des formes vieillies, destinées à se transformer ou à disparaître, il en a lui-même adopté ou créé d’autres