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trop de danger, se permettre un nouvel exploit ? Nous sommes curieux de voir quelle explication il en donnera. Peut-être dira-t-il, — les journaux allemands en émettent déjà l’hypothèse, — que l’Hesperian est venu butter contre une mine anglaise ; mais les passagers sont unanimes à parler d’une torpille. Ou encore que le paquebot a essayé d’échapper ou a offert quelque résistance ; mais alors, on s’apercevra que la facilité d’invoquer un pareil prétexte permettra toujours aux sous-marins allemands de faire ce qu’ils voudront. Peut-être enfin se contentera-t-on, à Berlin, de déplorer que le commandant du sous-marin allemand n’ait pas reçu en temps opportun les nouvelles instructions de l’amirauté ; mais s’il était déjà difficile de le croire pour l’Arabic, il le sera encore bien plus pour l’Hesperian. La vérité est qu’avec une nation et un gouvernement qui ont fait du mensonge un instrument habituel de politique et de guerre, on n’aura jamais de sécurité. Au surplus, nous avons vu que les Allemands font le mal pour le mal, indifférens à l’horreur qu’ils inspirent, pourvu qu’on les craigne : ils le font du moins toutes les fois qu’ils le peuvent sans danger pour eux.

Ceci nous conduit à parler de la lettre que M. Balfour a écrite à un de ses correspondans, et où il donne une autre explication de la nouvelle politique maritime du gouvernement impérial, à la supposer sincère et si elle n’est pas l’expédient d’un jour. M. Balfour ne croit nullement et nous ne croyons pas plus que lui qu’on soit revenu à Berlin à des sentimens plus humains. M. de Bethmann-Hollweg lui-même n’a-t-il pas dit dans son dernier discours qu’il était guéri de toute sentimentalité ? Mais il ne faut faire le mal que lorsqu’il est utile et M. Balfour ajoute qu’on ne le fait que lorsqu’on le peut. L’Allemagne le peut-elle encore ? C’est la question qu’il pose. « Il est vrai, dit-il, que de nombreuses personnes inoffensives, femmes et enfans, aussi bien des hommes de pays neutres que de pays bélligérans, ont été dévalisés et tués grâce à ces nouvelles méthodes de guerre. Toutefois, les innocens n’ont pas seuls souffert : les criminels ont aussi payé le prix de leurs crimes ; certains ont été faits prisonniers de guerre. Mais, en raison même de la nature des sous-marins, il doit souvent arriver qu’ils entraînent leur équipage vers une mort certaine. Voilà ce qui explique le changement de la diplomatie allemande envers les États-Unis. D’aucuns se demandent pourquoi la destruction du Lusitania, avec une perte de vies de plus de douze cents femmes, enfans et hommes, fut saluée dans l’Allemagne tout entière par des cris de triomphe, tandis que la destruction de l’ Arabic fut