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suspect, soupçonné d’espionnage, ou pessimiste rudement sommé de ne plus répandre ses propos alarmans, — et aussitôt la vague populaire avait tendance à se reformer…

Tous ces phénomènes de la vie superficielle de la cité se groupaient, s’illuminaient, prenaient un sens très fort lorsque l’on découvrait bientôt que, dans la réalité des choses, Rome, au cours des dernières semaines, venait de se comporter en véritable capitale, cœur et cerveau de tout un peuple, et de vivre les journées les plus décisives par lesquelles elle eût passé depuis qu’elle sert de siège au gouvernement de la nouvelle Italie.


Massimo d’Azeglio écrivait, en cette année 1859 qui offre, à certains égards, bien des rapports avec les jours que nous vivons, ces lignes familières à l’un de ses amis français : « On criera à l’ambition de Victor-Emmanuel, c’est tout simple ; le plus malin y serait pris. Et pourtant, moi qui connais le Roi,… si vous saviez comme cela me fait rire de me figurer Victor-Emmanuel dévoré d’ambition ! Non, tout cela n’expliquerait rien. Il n’y a qu’à admettre qu’il y a des entraînemens inévitables, des antagonismes comme des affinités voulus par la nature des choses, et qu’à de certains momens, de grandes rénovations s’accomplissent : comment ? pourquoi ? parce qu’elles sont dans le cœur, dans l’esprit de tout le monde. »

Ces lignes ont été écrites voilà plus d’un demi-siècle. Et l’explication psychologique que Massimo d’Azeglio trouvait alors aux événemens dont il était le témoin, au mouvement qui poussait l’Italie à accomplir une étape de plus vers son unité, cette explication, aujourd’hui, est encore valable et juste. Non, certes, ce n’est pas l’ambition qui a conduit Victor-Emmanuel III à la guerre, et ce mobile est aussi loin du roi d’Italie qu’il l’était de son aïeul, simple roi de Sardaigne. Victor-Emmanuel III est un prince consciencieux, réfléchi, modéré, incapable de se décider par d’autres raisons que celles de la sécurité, de l’intérêt et de l’honneur de l’Etat dont il est le chef. Et si, durant les journées de mai 1915, lorsque tout un peuple se tournait vers lui, recourait à son arbitrage suprême, si le Roi a pris alors les décisions et prononcé les paroles qui