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et à l’opinion publique cette idée que la Triplice, ayant survécu à l’incident de 1913, devait survivre également à la déclaration de neutralité de 1914 ? C’est du moins l’hypothèse qui se présenta tout de suite à l’esprit de quelques-uns, hypothèse que l’attitude prise dans la suite par M. Giolitti est, jusqu’à un certain point, venue appuyer.

Cependant, fort de l’approbation de la Chambre, puissamment soutenu par l’opinion publique, le ministère Salandra se mettait au travail. L’œuvre de préparation militaire redoublait d’activité et d’ardeur. M. Sonnino entamait avec le Ballplatz les négociations qu’il devait conduire avec une inébranlable fermeté jusqu’au terme, tandis que le prince de Bülow, dans sa villa fleurie de roses, mettait en action toutes les ressources de son esprit, tous ses moyens d’influence pour retenir l’Italie sur la pente, sans soupçonner, — et telle a été son erreur la plus lourde, — qu’il allait de la sorte alimenter lui-même le soulèvement national contre l’ingérence étrangère dans les affaires du pays.


Le Livre vert constitue un document à la fois politique et psychologique. C’est, dans le style sévère et mesuré de la diplomatie, un dialogue où apparaissent deux états d’esprit. Au comte Berchtold a pu succéder le baron Burian ; à un grand seigneur un peu las, un peu détaché, un magnat hongrois plus actif et plus âpre : la conversation garde la même allure, et c’est toujours M. Sonnino qui la conduit. En vain la diplomatie allemande s’efforce-t-elle d’intervenir, de jeter des ponts, de chercher des moyens termes. Du côté italien, il y a une volonté inflexible, une clarté de vues qui écarte tous les pièges, rend toutes les ruses inutiles, décourage les arrière-pensées de duperie. Du côté austro-hongrois, sous les habiletés auxquelles le négociateur a recours, on sent une résignation, un fatalisme devant la rudesse de l’attaque. L’Autriche a l’impression que louvoyer ne lui servira de rien : à gagner du temps, tout au plus. Elle a compris, dès la première note apportée par le duc d’Avarna, que son vieux duel avec le Piémont reprenait, qu’une quatrième rencontre armée était inévitable. « L’Italie et l’Autriche ne peuvent être qu’alliées ou ennemies. » Le mot