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Pour comprendre l’état d’esprit de la population romaine, il faut se rappeler qu’aux dernières élections, le suffrage universel venait de s’y partager entre les nationalistes, — parti nouveau-né, à la fois réactionnaire, démagogique et doctrinaire, — et les démocrates traditionnels, héritiers de Garibaldi et de Mazzini, représentans de l’idée irrédentiste, champions de l’achèvement de l’unité italienne. Toutes les forces de la capitale, tous ses élémens intellectuels et moraux, son élite aussi bien que sa masse se trouvaient ainsi orientés dans la même direction., Les nationalistes-impérialistes de l’Idea Nazionale, qui se flattent de bannir toute sentimentalité de la politique, de se placer au seul point de vue de l’intérêt national italien, parlaient le même langage passionné que les écrivains du Messaggero, libres penseurs et unitaires à l’ancienne mode. Une sorte de comité de salut public s’était même formé où les chefs de ces deux camps, les rédacteurs de ces deux organes se rencontraient, se concertaient, songeaient, peut-être, si les choses devaient aller plus loin, à une action politique commune. Pendant quarante-huit heures, il y a eu en puissance, à Rome, à Milan, dans dix autres centres d’Italie, l’équivalent de certaines journées révolutionnaires de la période du Risorgimento. Impatience de l’intervention étrangère, sommation au gouvernement de respecter les traditions nationales italiennes, jusqu’au cri fameux : « Dehors les barbares ! » rien n’a manqué à ces recommencemens de l’histoire.

L’émotion, l’indignation, la colère de Rome furent portées à leur plus haut point, dans la soirée du 14 mai, par une nouvelle harangue publique de M. d’Annunzio. Les accusations directes, les renseignemens précis que le poète apportait dans ce discours en faisaient un acte politique d’une haute portée, après lequel des mouvemens décisifs de l’opinion publique ne pouvaient manquer de se produire. Voici, d’ailleurs, traduits en français pour la première fois, les passages capitaux de cette philippique. Erigeant la foule en tribunal, l’orateur lui parlait en ces termes.


Nous sommes assemblés ici pour juger un crime de haute trahison et pour dénoncer au mépris et à la vengeance des bons citoyens le coupable, les coupables.

Ce que je vous dis ici, ce ne sont pas des paroles d’enflure, c’est la qualification précise d’un fait avéré.