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26 janvier. — Cette guerre dans l’Argonne est une guerre toute spéciale et qui ne ressemble à aucune autre. Elle a ses méthodes particulières, ses engins originaux.

On se sert peu du fusil. On fait, en revanche, une terrible consommation de grenades et de bombes. Des grenades, il y en a de toutes les variétés : celles qui s’allument par le frottement, celles auxquelles on met le feu par une mèche, celles qui détonent par le choc comme les engins des anarchistes.

Même variété en ce qui concerne les lance-bombes. Les Allemands en sont pourvus abondamment- Chacune de leurs compagnies, dans l’Argonne, en possède quatre petits et un gros. Nous en avons aussi, et de tous les calibres, des Célerier qui sont faits avec des douilles d’obus, d’autres beaucoup plus gros. L’un de ceux-ci lance un terrible projectile que nos soldats ont baptisé le « poupon. » C’est plaisir de le voir cheminer dans les airs vers les tranchées allemandes, où il explose avec un épouvantable fracas, projetant à dix mètres de hauteur des morceaux de terre, d’énormes blocs de pierre et parfois aussi quelques bras, jambes ou troncs des Allemands qui se trouvaient par-là. Les Boches poussent alors d’affreux cris, car, au rebours des nôtres, ils n’ont pas la douleur silencieuse.

La profusion, la variété de ces armes sont cause que les soldats, dans les tranchées, n’ont pas une minute de repos. Le seul moyen d’ailleurs d’empêcher les attaques de l’ennemi, c’est de ne lui laisser aucune tranquillité. Le général commandant le corps d’armée donne constamment ses ordres dans ce sens. Il importe de le harceler sans répit, de gêner, de bouleverser ses travaux, de déranger tous ses plans. A-t-il commencé quelque tête de sape ? Pendant la nuit, quelques-uns de nos soldats, d’audacieux gaillards qui sont souvent des volontaires, bondissent dans ces sapes et les font sauter à la mélinite avec ceux qui les creusent.

La guerre de mines, comme on pense, ne chôme pas. Leurs sapeurs et les nôtres sont sans cesse occupés à creuser des galeries, à pousser en avant leurs travaux. Quelle joie quand on peut arriver, sans que l’éveil ait été donné, jusque sous les positions ennemies ! Le fourneau de mine est préparé. Un beau jour, tout saute en l’air, la tranchée et ses occupans.

Mais il arrive assez souvent que la mine est éventée. Les sapeurs de la partie adverse lui donnent alors le camouflet.